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on est tenté d’appliquer le mot magnifique de l’ancien auteur sur le Jupiter de Phidias « dont la beauté semble avoir ajouté quelque chose à la religion des peuples, tant la majesté de l’œuvre égalait celle du Dieu[1]… » Seulement chez Phidias ce Dieu était surtout, nous disent les anciens, sérénité et calme ; chez Michel-Ange il est surtout mouvement et action.

Il est aussi bonté, n’ayons garde de l’oublier : il l’est de préférence dans ce troisième et dernier tableau, où il contemple son œuvre accomplie et la bénit d’en haut, benedixitque dicens : crescite et multiplicamini… Il s’avance vers nous du fond du firmament et traverse lentement les espaces, le regard abaissé vers la terre et les mains largement ouvertes. C’est toujours le même type de Jéhovah à la tête puissante, au front fendu par une ride horizontale et profonde que l’on voit également au masque célèbre d’Otricoli ; mais les traits sont comme détendus et alanguis par l’expression d’une charité débordante, le visage est comme intérieurement éclairé par une flamme généreuse. Les anges, si émus et agités dans le cadre précédent, voguent maintenant placides et sereins, tranquillement abrités sous le manteau du Seigneur comme sous une immense toile de navire. L’accalmie est complète ; aucun nuage au ciel, pas le moindre pli à l’horizon : l’univers attentif semble retenir son haleine pour mieux entendre la parole de grâce et d’amour. Un andante mélodieux et suave sert ainsi de finale à cette symphonie de la Création, dont les deux premières parties sont d’un mouvement si fougueux, si formidable.

Et à cet endroit il importe de faire observer que les neuf tableaux du plafond — quatre grands et cinq plus petits — constituent trois groupes distincts, trois vastes compositions tripartites : la Création du monde, le Paradis, le Déluge. Ce sont des trilogies conçues en forme de triptyques[2] ; et l’alternance de leurs panneaux longs et brefs anime comme d’un rythme musical toute cette suite des peintures inspirées par le livre de la Genèse.

Un mot aussi sur les anges qui, dans ces peintures, forment le cortège de Jéhovah, et que nous retrouverons également dans l’entourage des Prophètes et des Sibylles. Ils ne rappellent en

  1. Phidiæ Olympius Jupiter, cujus pulchritudo adjecisse aliquid etiam receptæ religioni videlur, adeo viajestas operis Deum æquavit. (Quintil. Inst. Or., XII, 10.)
  2. C’est-à-dire d’un grand panneau au milieu avec deux volets latéraux plus petits. Dans le triptyque du Paradis, les deux tableaux latéraux sont plus grands que celui du milieu, en conformité à la position des fenêtres de la chapelle à cet endroit. Remarquons encore que les épisodes historiques aux quatre angles du plafond (Goliath, Judith, Aman et le Serpent d’airain) ont également le caractère de triptyques.