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Au-dessous du vaste plafond qui nous a fait admirer la puissance de Jéhovah, les pentes ou retombées de la voûte proclament tout autour la gloire du Christ : nous avons là une préface monumentale à la Vie de Jésus, comme les triptyques de la Genèse nous en ont donné une à la vie du législateur des Hébreux. Les Prophètes et les Sibylles symbolisent l’âge pour ainsi dire préhistorique de la chrétienté, l’époque messianique de la Nouvelle Alliance ; et à ce nouvel ordre d’idées répond également le nouvel ordre de composition. Au lieu de tableaux dramatiques, horizontalement suspendus au sommet en guise de tapisseries, vous voyez ici en face de vous, et bien à la portée de votre regard, douze figures isolées, figures sculpturales, gigantesques et d’une expression intense, pathétique. Vasari incline à leur accorder la palme sur toutes les autres peintures de la voûte : « celui qui a compris leur signification, dit-il, les reconnaîtra pour divines. » Elles sont surhumaines, à coup sûr, vraiment titaniques ; elles vous saisissent et vous subjuguent dès le premier instant ; elles ne cesseront de vous hanter pour tout le reste de la vie. Ce n’est pas seulement par les niches de marbre dans lesquelles elles sont encadrées qu’elles vous font songer au Moïse du San Pietro in Vincoli et au Pensieroso de la chapelle médicéenne : comme ce Moïse et ce Pensieroso elles demeureront éternellement fascinantes, troublantes aussi, — peut-être même énigmatiques à jamais.

Il y a, dans tous les cas, un moyen infaillible de ne jamais rien comprendre à la signification de ces figures, — pour parler le langage du bon Vasari : — c’est de les aborder avec les idées littéraires et les propensions philosophiques qui sont devenues si courantes de nos jours. Gardez-vous, par exemple, de vouloir chercher dans la version de la Bible le secret de tel de ces Prophètes dont la caractéristique ici vous a étonné, voire déconcerté quelque peu : vous risquerez fort d’ajouter seulement à vos perplexités. L’Isaïe de la Sixtine, avec son air méditatif et son regard perdu dans le lointain, vous paraîtra alors un personnage trop différent du nabi formidable, à la parole de feu et à la voix de tonnerre, que les Saintes Écritures vous auront appris à connaître. Ce geste violent, au contraire, cet aspect farouche du vieillard colérique qui a trouvé sa place du côté opposé, ils vous sembleront convenir aussi peu que possible à l’Ézéchiel des textes sacrés, le grand consolateur des exilés de Babylone, le doux illuminé qui, au plus profond de l’esclavage, a rebâti par l’esprit le Temple, construit la Jérusalem céleste avec toute la précision d’un architecte et d’un arpenteur, « le Fourier du prophétisme », comme on l’a si bien appelé. À quel signe