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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/792

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à ce fra Girolamo qui, lui effectivement, a pâli dans sa cellule sur les saintes Écritures, a parcouru nombre de commentaires et compulsé bien des textes, avant de venir affirmer que « l’histoire de l’Ancien Testament démontre la nécessité d’un châtiment prochain… »

La nécessité d’un châtiment prochain, voilà ce que proclament aussi, je le crains, ces figures titaniques de Buonarroti !… Dans la pensée du moyen âge, ces Prophètes et Sibylles furent les messagers du Verbe parmi les Juifs et les gentils longtemps avant le Jean-Baptiste ; et c’est à ce titre qu’il les a célébrés dans ses Mystères[1], sculptés et peints sur les portails et les murs de ses églises : il leur mettait dans la bouche, ou inscrivait sur leurs rouleaux, les versets se rapportant à la venue du Seigneur. La donnée est la même assurément dans l’œuvre de Michel-Ange : mais que l’expression en est différente et au plus haut point troublante ! Que ces Prophetæ Christi et ces vierges fatidiques sont graves et sévères ; que le Jérémie est abîmé dans sa douleur, que la Delphica elle-même a le regard fixe et dur ; que tout ici semble répéter le cri de Savonarole : Gladius Domini super terram cito et velociter !…


Là, à ces messagers étranges et terrifians de la bonne nouvelle, s’arrêtait la vision que les Romains eurent de la voûte Sixtine dans la semaine de l’Assomption 1511. Vraie vision des bords du fleuve Chobar : « Au milieu de nuées et de flammes une main invisible avait déroulé un livre écrit dedans et dehors ; et on y avait écrit des plaintes lugubres, des cantiques et des malédictions[2]… » Peu de jours après, la voûte se renfermait de nouveau ; Buonarroti remontait son pont et commençait à peindre les Ancêtres du Christ : figures encore plus mystérieuses et plus sombres que les Prophètes et les Sibylles.


III

« Pensez-vous, — me dit un jour dans la Sixtine l’irrévérencieux M. de N***, le secrétaire d’ambassade si bien connu de tout Rome pour ses saillies et paradoxes, — pensez-vous que Michel-Ange a été heureusement inspiré en inaugurant ici ces plafonds aux vastes compositions historiques qui font la torture

  1. Voyez les très remarquables études sur les Prophètes du Christ dans les Mystères du moyen âge, par M. Marius Sepet (Bibliothèque de l’École des chartes, vol. XXVIII, XXIX et XXXIX).
  2. Ézéchiel, I, 4 ; II, 9.