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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/810

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branche, passent à l’ « étouffage ». Pour enlever à la chrysalide toute velléité de prendre son vol en crevant son étui, qu’elle endommagerait ainsi de la manière la plus fâcheuse, elle est asphyxiée méthodiquement par la vapeur, et son enveloppe se dessèche dans des greniers jusqu’à l’envoi à la filature. Jadis chaque éleveur dévidait lui-même sa soie, vaille que vaille, comme font encore les Orientaux, et souvent il opérait mal. Le brin du cocon est, on le sait, beaucoup plus fragile que le plus grêle de tous nos fils ; il faudrait, pour le tisser à l’état natif, des métiers magiques et des doigts de fée.

Aussi déroule-t-on à la fois quatre cocons. L’on croise ensemble les quatre fils pour former la soie grège du commerce. Depuis 1805, où la machine fut employée à ce travail, des inventions de toutes sortes ont constamment perfectionné l’outillage. La rustique marmite d’eau chaude, dans laquelle le paysan du siècle dernier plongeait ses cocons pour les cuire, les battre, les « débayer », afin d’en faciliter le tirage, est remplacée par des centaines de bassines dont chacune file « à quatre bouts », c’est-à-dire que seize cocons y sont dévidés à la fois. Grâce à la division de la besogne, chaque ouvrière, au lieu de 125 grammes de soie classique, arrive à en produire 450 grammes par jour. Les Américains, après avoir découvert un système électrique qui donnait des filés plus beaux, ont dû y renoncer parce qu’il énervait la soie ; elle perdait son élasticité. Les effets de la température au contraire, la composition chimique de l’eau de lavage, pour réaliser telle ou telle qualité, ont été définis et appliqués avec succès.

Malgré ces efforts, malgré les 4 millions de subvention payés par l’Etat à cette industrie agricole, elle demeure précaire. Le progrès se propage très vite et dans tous les pays. Nos soies françaises risquent ainsi de perdre, dans un avenir peu éloigné, la supériorité qu’une ouvraison plus parfaite leur assurait sur les marchés du globe.

La grège ne peut être employée telle qu’à un certain nombre de tissus : les « teints en pièces » ; pour tous les autres elle doit recevoir une façon nouvelle, le « moulinage ». S’il s’agit d’obtenir l’ « organsin », fil de chaîne, auquel on demande plus de solidité, on fait subir à la soie une torsion de 600 tours par mètre ; elle le raccourcit et le renforce ; puis on accouple et l’on tord deux fils en un seul. Quoiqu’il représente ainsi huit fils de cocon groupés, l’organsin semble fort mince ; il est moitié plus fin que la soie à coudre. Le fil de trame, ne passant que par une moindre torsion, est plus ténu encore. Le rôle du moulinier