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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/813

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On ne connaissait guère, avant 1800, d’autres couleurs à base minérale que le bleu Raymond, sorti du cyanure de fer. L’acide picrique, première application des jus de houille, remonte à 1847. Douze ans après, une expérience de laboratoire lit apparaître un liquide rouge, légèrement vineux, dont on ne sut tout d’abord que faire. Cette substance de hasard, accueillie avec indifférence, était la fuchsine, base de la plupart des couleurs futures.

Chaque année vit éclore désormais une| combinaison nouvelle : de la coraline — acide rosalique — procédèrent un nouveau jaune et un nouveau rouge. La réaction de la coraline sur l’aniline enfanta un bleu : l’azuline ; un violet inédit fut le fruit de l’alliance de l’aniline avec la fuchsine. Par des accouplemens, des croisemens multipliés de ces divers produits on se procura la viridine, ou vert lumière, la safranine, le bleu de Lyon, enfin une palette inépuisable de nuances pures ou rabattues. Durant cette période où triomphaient précisément les étoffes unies, le teinturier, devenu chimiste, remplaça le dessinateur. Sa fertilité inventive ne connut pas de limites ; ses mélanges et ses manipulations savantes ont créé des couleurs « à pelletée », suivant l’expression d’un ouvrier de la partie.

M. Chevreul passe pour avoir doté les Gobelins de 1 440 couleurs. Un industriel de Saint-Etienne a constitué une carte d’échantillon de quatre mille nuances ; et la réalisation de ce tour de force n’a rien d’invraisemblable pour qui voit ce que l’on nomme à Lyon une ombrée, vrai soleil de feu d’artifice à rayons éclatans et fondus, représentation synthétique de tout ce que le mot « couleur » peut suggérer à l’humanité. Les tonalités innombrables, inouïes, que la nature invente sans cesse en se jouant dans les cieux ou sur les mers, dont elle couvre les plantes, dont elle habille les bêtes, sont ici notées, figées, classées, sans qu’il soit possible à l’œil d’en discerner jamais davantage. Il n’est pas un rose, pas un bleu, pas un vert, que ce dictionnaire ait omis de reproduire, depuis les plus rudes jusqu’aux plus tendres. Fractionnée à l’infini, la gamme de chaque teinte monte et descend, avec des transitions si douces qu’elles paraissent insensibles. Si Peau d’Ane sortait des limbes poétiques pour entrer dans notre réalité désenchantée, elle pourrait aisément suivre les conseils de sa marraine la fée des Lilas, et se procurer des robes couleur du jour, de la lune et du soleil. Nos teinturiers ont mis, à volonté, tout cela dans leurs alambics, et leurs trouvailles sont si ingénieuses que l’on oublie combien elles sont fugitives.

Des sept patriarches du coloris, groupés dans le spectre