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n’accuse le monarque vaincu et n’appelle la malédiction sur sa mémoire. Un député, Josti, s’écrie : « Dans une telle mesquinité d’hommes, je vois s’élever un homme vénérable, Charles-Albert ! » et, montrant du doigt son portrait : « Contemplez le martyr de l’Italie. » Et l’Assemblée et les tribunes éclatent en cris de : « Vive Charles-Albert ! » et à l’unanimité on déclare qu’il a bien mérité de la patrie, qu’une statue lui sera élevée, qu’une députation lui sera envoyée au lieu de sa retraite ; et le sort ayant désigné, parmi ces députés Rattazzi, le ministre de la déclaration de guerre, les applaudissemens et les cris recommencent. Scène digne d’une éternelle mémoire. Les peuples qui montrent une telle loyauté d’âme et une aussi imperturbable solidité dans la fortune adverse sont assurés d’un lendemain réparateur. « Tout est perdu, même l’honneur », avait dit Charles-Albert. L’histoire n’a pas ratifié ce mot désespéré. Non seulement l’honneur fut sauvé à Novare, mais l’avenir y fut conquis.

Le malheureux roi ne résista pas longtemps à la douleur qui l’accablait. Il s’éteignit à Oporto, revêtu d’un cilice, dans une modeste chambre qui dominait la mer, sur les murs de laquelle étaient suspendues les images de la Vierge et de saint François et une carte d’Italie (28 juillet 1849).

La nouvelle de la défaite de Novare ne causa pas de surprise à l’Elysée, car on n’y avait pas douté de l’issue déplorable de cette campagne tant déconseillée. Il n’y eut pas davantage d’indécision dans l’esprit du Président, d’accord ce jour-là avec ses ministres et l’Assemblée. On empêcherait, même par la guerre, la moindre atteinte à l’intégrité territoriale du Piémont[1] ; on n’irait pas au-delà. Thiers (quoi qu’il ait raconté) n’eut pas le moindre effort à tenter auprès des ministres et du Président pour obtenir le succès de celle politique sensée ; il ne déploya son éloquence qu’auprès de l’ambassadeur d’Autriche pour le rendre modéré et auprès de l’Assemblée pour conjurer l’effet des excitations belliqueuses de Ledru-Rollin et de ses amis.

L’Autriche détendit les esprits par sa déclaration qu’elle ne prendrait pas un pouce du territoire piémontais. Dès lors il ne s’agit que de discussions diplomatiques sur l’étendue des sacrifices inévitables. Le Président travailla à en diminuer l’étendue. Gioberti, envoyé en mission extraordinaire à Paris, ne se

  1. L’Assemblée vota le 31 mars, à la majorité de 444 voix contre 320, un ordre du jour ainsi conçu : « L’Assemblée nationale déclare que si, pour mieux garantir l’intégrité du territoire piémontais et sauvegarder les intérêts et l’honneur de la France, le pouvoir exécutif croit devoir prêter à ses négociations l’appui d’une occupation partielle et temporaire de l’Italie, il trouvera dans l’Assemblée nationale le plus entier concours. »