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sorte de long tablier noir ou café au lait, dont le bas est garni d’une broderie aux nuances plus vives. Elle le ramène sur son épaule, l’y attache au moyen de grandes épingles d’argent, qui ont la forme de cuillers, et le laisse pendre tantôt par devant, tantôt sur le côté. Jeune fille, son vêtement lui descend jusqu’aux pieds. De loin elle semble drapée dans une chemise de bure. Ses pieds nus reposent sur des espèces de patins, parfois peints en rouge et bordés de clous d’argent. J’ai vu quelques Indiennes s’envelopper de manteaux éclatans, à la façon des cholas, mais la plupart s’en tiennent aux vêtemens traditionnels, qu’elles tissent elles-mêmes, ainsi que ceux de leurs hommes, avec la laine du lama et de la vigogne.

Indiens et Indiennes ont la même taille, une taille un peu au-dessous de la moyenne, et, comme les hommes sont presque tous imberbes et laissent pousser leurs cheveux, on ne reconnaît pas toujours leur sexe à leur figure. Dans la foule, un jeune Indien ressemble, à s’y méprendre, aux femmes qui l’entourent. Leur type respire parfois une étrange douceur. Peau bronzée et visage ovale, ils ont le front bas mais large, les narines fortes et bien ouvertes, la bouche plutôt épaisse, et de grands yeux noirs, pleins d’étonnemens puérils, de timidité farouche et de caresse triste. On y devine une hérédité de souffrances et d’oppression et de peur. L’âge les fane vite. Si le temps ne fait pas blanchir leurs cheveux, il ne tarde pas à détruire le charme de leur visage. Passé vingt-cinq ans, les Indiens sont laids, les vieux sont hideux ; et, tandis que parmi les cholos ou les descendans d’Européens, on considère un vieillard comme une curiosité, les peuplades indiennes fourmillent de centenaires. Un Bolivien me disait : « Si l’Indien ne boit pas et s’il échappe ainsi à la maladie de cœur dont le menace l’ivresse, les années ne viennent pas à bout de l’abattre. » Malheureusement l’ivrognerie le guette et l’agrippe, sitôt qu’il met le pied parmi ses conquérans, dans les cités ouvrières. Il se passionne pour la bouteille d’alcool. Un de mes hôtes me racontait qu’il avait vu des Indiens mettre en perce de petits fûts d’eau-de-vie. Ils collent leurs lèvres aux bords du trou, et ne les en détachent qu’en tombant ivres morts. Quelquefois ils sont morts pour tout de bon.

Du reste, la mort ne les effraie point : ils la considèrent comme une délivrance, et, loin de s’affliger devant un cadavre, ils en font un prétexte de réjouissances. Ils le portent en terre aux sons de la guitare et festoient sur la tombe. Les cholos ont gardé cet usage, et il a si bien passé dans les mœurs que la compagnie de Huanchaca, quand un de ses mineurs est victime d’un accident au fond de la mine, octroie à sa veuve dix litres