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parce qu’elles auront vieilli, ou encore parce qu’elles auront été vantées outre mesure, ne peuvent plus subsister longtemps » ; c’est enfin un « esprit de liberté qui entraîne dans son jeu jusqu’à la raison même » et qui, dans les rapports du peuple avec l’Etat, produit un « enthousiasme capable de tout ébranler, dépassant toute extrémité[1]. »

Selon Kant, un des principaux objets auxquels « se rapportent les mérites et les qualités nationales des Français, c’est la femme. » En France, dit-il, la femme pourrait avoir « une influence plus puissante que partout ailleurs sur la conduite des hommes, en les poussant aux nobles actions, si l’on songeait à encourager un peu cet esprit national. » Puis, regrettant que la femme française d’alors ne sût pas continuer la tradition de Jeanne d’Arc et de Jeanne Hachette, il ajoute ce mot charmant : « Il est fâcheux que les lis ne filent pas. » Kant n’en a pas moins confiance dans l’avenir de l’influence féminine et dans les effets bienfaisans qu’elle pourrait avoir sur notre moralité nationale, et il conclut en disant : « Je ne voudrais pas, pour tout l’or du monde, avoir dit ce que Rousseau a osé soutenir : qu’une femme n’est jamais autre chose qu’un grand enfant. »

Notre caractère national, dont on ne saurait méconnaître certains traits dans les divers témoignages qui précèdent, s’est-il altéré dans la seconde moitié et surtout dans le dernier quart de ce siècle ? C’est ce que soutiennent ceux qui nous accusent de dégénérescence psychologique. Voici, d’une part, un Italien sociologue, d’autre part, un Allemand psychiatre qui nous gratifient simultanément de dégénérescence mentale. Ont-ils employé pour le constater, comme ils s’en flattent, une méthode vraiment scientifique ? Nous reparlerons tout à l’heure de M. Max Nordau ; examinons d’abord les accusations du sociologue italien. Dans une étude de « pathologie sociale », qui fait partie du premier volume de son Corso di sociologia, et que publia l’excellente Rivista di filosofia scientifica en avril 1889, M. A. de Bella prétendait établir le diagnostic de notre déchéance. Selon ce médecin tant pis, « l’élément pathologique qui s’est infiltré dans la stratification du caractère français, c’est un amour-propre exagéré, qui coïncide avec la vanité, d’autres fois avec l’orgueil, toujours avec l’intolérance, la cruauté et le césarisme ». Tous ces défauts, ajoute-t-il, sont en outre accompagnés d’une contradiction

  1. Kant remarque, en passant, combien il est difficile de traduire en d’autres langues, surtout en allemand, certains mots français, dont les nuances fines représentent plutôt le caractère même de la nation que des objets déterminés : « esprit (au lieu de bon sens), frivolité, galanterie, petit-maître, coquette, étourderie, point d’honneur, bon ton, bon mot, etc. » On voit que, pour Kant, nous sommes toujours au XVIIIe siècle.