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chevelure mérovingienne encadrait l’impassible candeur. Ils descendaient sous la pluie, et je m’émerveillai de leur simplicité presque majestueuse, qui contrastait violemment avec la boue des marches inégales, les murs détrempés, l’horizon couleur de suie. Les éphèbes et les vierges sur les degrés du temple grec ne devaient pas se mouvoir avec une grâce plus souple et plus sobre. Ils s’arrêtèrent un instant et se consultèrent. Je me tenais près d’eux sans qu’ils eussent l’air de soupçonner ma présence, et je les entendis parler en leur idiome quichua, cette langue des anciens peuples du Pérou. C’est moins une langue qu’une éternelle mélopée. Leurs lèvres faisaient un chant grave et traînant, où les mêmes notes revenaient sans cesse, comme dans le gosier du rossignol. Ils ne daignaient pas s’apercevoir de l’averse : ils causaient tranquillement, appuyés l’un sur l’autre, avec un si parfait détachement de tout ce qui les entourait, qu’ils me semblaient des personnages d’une autre planète égarés sur la terre. Leur jeunesse incarnait une race à part et vraiment superbe, et quand ils reprirent leur route et s’effacèrent au tournant d’une infecte venelle, j’eus la vision d’un passé merveilleux qui disparaissait dans la fange.

La nature est une grande maîtresse d’élégance, et ces Indiens naïfs en savent plus sûr la manière de faire valoir la beauté de la machine humaine, que les gens civilisés avec toutes leurs leçons de maintien. Ils peuvent être laids, nous paraître grossiers et primitifs ; ils ne sont jamais ridicules. Je confiai à mes hôtes ma surprise et mon admiration. Elles ne laissèrent point de les étonner, comme ces paysans qui ne comprennent pas qu’on se récrie d’enthousiasme devant le site où ils retournent la glèbe. Cependant Cornejo, qui a le coup d’œil d’un artiste, partagea mon sentiment. Ces Indiens, quand la vie n’a pas encore déformé et avili leurs formes, marchent enveloppés de mystère, c’est-à-dire de poésie.

La Bolivie a ses sphinx, comme l’Egypte. Les Boliviens et les étrangers défricheront leurs montagnes, découvriront peut-être tous les trésors qui y dorment, mais ils ne déchiffreront jamais l’âme du pauvre Indien, qu’ils ont cru conquérir. Ils ne sauront jamais ce qui se passe sous son front. Ceux-là mêmes qui ont gagné son affection, éprouvé son dévouement, n’ont point pénétré dans les replis de sa pensée. L’Indien reste un monde inexploré et qui défie l’explorateur. Personne ne lui arrachera son secret ; on a beau l’étudier, on est toujours réduit aux conjectures. Cet homme, que la compagnie de Huanchaca attire, fait descendre à la mine, paie et corrompt, promène au milieu de ses maîtres une vivante énigme. Il les hait d’une haine peureuse, mais implacable. Il ne