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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/909

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vers les sélections qui les donnent, ou se limitera-t-elle à la brutalité du chiffre, pour la solennité du champ de bataille, comme devant l’urne électorale ? Et puisque les contingens sous les drapeaux nous tiennent lieu actuellement des anciens soldats de carrière, que nos soldats de l’active, si jeunes de métier qu’ils puissent être pour la plupart, représenteront l’élite de notre force combattante, dans quelle proportion et suivant quelles conditions s’opérera leur fusion avec les réservistes ? La prépondérance restera-t-elle aux premiers, ou passera-t-elle aux autres ? Et pourrons-nous dire que c’est l’élite qui a absorbé la masse, ou faudra-t-il avouer que c’est la masse qui a comme étouffé et annulé l’élite ?


II

Si le nombre seul était appelé à décider en souverain ressort dans les guerres de l’avenir, notre puissance militaire devrait par avance renoncer à jamais marcher de pair avec celle de l’Allemagne. Sa population dépasse en effet la nôtre de 14 millions d’habitans et la disproportion ne peut qu’aller toujours s’accusant à notre désavantage. La moyenne des naissances s’y maintient à 380 par 1 000 habitans, tandis qu’elle tombe en France au-dessous de 250. C’est ainsi que, pour une période de quatre années, de 1886 à 1889, l’augmentation de population a atteint pour l’Allemagne 2 296 260 individus, tandis qu’elle se chiffre pour la France à 239 570, soit tout près de dix fois moins.

Mais outre que le nombre n’a que la valeur relative que lui donnent les circonstances, il n’acquiert d’importance militaire, aujourd’hui surtout, qu’en raison des ressources de toute nature dont dispose une nation ; ressources morales découlant de son éducation patriotique et de sa force gouvernementale ; ressources matérielles résidant principalement dans la bonne administration de ses finances et dans la richesse de son crédit.

Il faut donc savoir, une fois pour toutes et de manière à n’y plus revenir, ce qu’on peut dépenser à l’éducation militaire du pays, ainsi qu’à son état de préparation à la guerre ; et, le chiffre reconnu, utiliser l’argent suivant le plus heureux profit. Dans les questions d’organisation militaire, l’essentiel n’est pas de voir grand, mais de voir juste. Et ce n’est pas voir juste que d’engager de lourdes dépenses sans compter, avec la quasi-certitude de ne pouvoir les soutenir, ou — s’y étant aventurés et pour ne pas battre en retraite trop précipitamment — avec la désastreuse obligation de sacrifier l’entretien des forces vives de l’armée aux passagères expériences d’un intérêt secondaire. Ce n’est pas voir juste, ce n’est pas faire acte de prévoyance, que d’équilibrer le budget,