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Malheureusement, au milieu de ces changemens, les compagnies de dépôt avaient sombré. Leur suppression, au point de vue du temps de paix, pouvait être une économie bien trouvée ; au point de vue du temps de guerre, c’était une faute impardonnable.

A part cela, les places semblaient donc mieux pourvues qu’auparavant, et les bataillons de première ligne des régimens d’infanterie avaient accru leur effectif du temps de paix. Les formations mixtes se trouvaient établies sur le papier, telles qu’on les avait conçues à l’origine, à cette différence près que le bataillon actif, qu’on accolait à deux bataillons territoriaux pour obtenir le régiment mixte, n’était plus qu’un assemblage de réservistes inconnus les uns aux autres, sous des chefs non moins inconnus d’eux. Néanmoins, comme tous les élémens sont susceptibles d’organisation, dès qu’ils ont des cadres ; que cela ne devient qu’une question de temps ; et qu’on conservait à ces régimens mixtes leur rôle de troupes de seconde ligne, le système se tenait debout, ces réserves faites.

C’est là qu’apparaît la conception qui, « pour faire grand », devait porter un coup funeste à la qualité de notre infanterie de première ligne, en la privant d’une partie de ses moyens à l’heure grave de l’entrée en campagne. Jamais la folie du nombre n’a usurpé plus brutalement sur les autres considérations militaires, dans le domaine des grandeurs morales principalement. Mathématiquement un fusil vaut un fusil, un homme vaut un homme, un être galonné vaut un être galonné. Pourquoi alors conserver des formations de seconde ligne, formations inférieures, quand toutes pourraient être de premier ordre, de première ligne ? Transformez en réservistes les territoriaux qui entrent pour les deux tiers dans le régiment mixte, mobilisez-les en même temps que le régiment actif, empruntez à celui-ci les élémens qui vous conviendront ; que la qualité des effets soit la même ; le nombre des voitures exactement semblable ; assujettissez la formation nouvelle aux mêmes règles de mobilisation, à la tenue des mêmes répertoires, agitez le mélange et vous aurez le régiment de réserve, équivalence du régiment actif, son image, son sosie ; — et, du même coup, l’armée de première ligne se trouvera doublée.

Tel est le rêve. Comment M. de Freycinet, qui le fit, put-il avoir oublié à ce point les enseignemens de la guerre en province de 1870, que, plus qu’un autre, il avait dû méditer ? Comment ceux qui avaient la pratique, la connaissance du soldat, pour qui le cœur humain gardait son éternelle signification, restait le grand secret des prochaines rencontres ; comment les chefs qui incarnent l’autorité de l’armée et sa volonté n’ont-ils pas démontré l’inanité et le danger d’une semblable chimère ? Comment ont-ils laissé