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régimens actifs. C’est que de toutes façons cette question demeure insoluble. On n’obtiendra jamais d’une unité existant seulement sur le papier quelle vaille une unité constituée normalement, vivant d’une vie réelle et continue, ni que ces deux unités fassent même figure dans le coup de foudre d’une mobilisation. L’unité improvisée, de quelques organes qu’on la dote, n’aura pendant quelque temps qu’une vie factice, qu’une mobilisation apparente. Elle ne saurait affronter l’ennemi avant de s’être soudée dans ses parties essentielles, sous peine de se désorganiser au premier choc ; il lui faut le temps de se former, elle appartient rationnellement aux unités de seconde ligne. Telle est l’évidence.

Elle n’a pas tenu devant les décisions prises. Sous la fascination d’un mirage trompeur, les régimens de réserve, puisant dans les mêmes classes de recrutement que les régimens actifs, précipitant leur mobilisation dans des conditions presque analogues, n’ont été bâtis sur l’exact modèle de ces derniers que pour figurer vraisemblablement à côté d’eux en première ligne, car sans cela il n’y aurait plus d’excuse pour l’appauvrissement des uns au profit des autres. Vicieuse à un double titre, cette conception atteint les corps bis comme les corps actifs. En dépouillant ceux-ci à l’heure de la lutte, elle pratique une saignée, retire de la vie à des organismes au moment même où on leur demande un effort terrible. En exigeant des autres, nés en pleine crise de mobilisation, qu’ils affrontent le premier choc comme les formations permanentes, elle les jette en pâture à la guerre, avant qu’ils aient appris à se sentir les coudes, qu’ils se soient solidarisés dans cet esprit de corps, sans lequel toute troupe, si matériellement constituée qu’on la suppose, reste un assemblage inerte, sans résolution et sans résistance, une forme sans âme. Passer outre à cette durée nécessaire à la phase embryonnaire d’un corps, pour l’amener incohérent sur le champ de bataille, ce serait apporter, au lieu d’une force, une cause de dissolvante faiblesse à nos armées de première ligne. Et puisqu’un tel développement ne peut être que progressif, que la durée inhérente à ce travail de formation doit exclure toute idée de faire participer ces réserves à l’acte d’inauguration de la suprême partie qui va se jouer, acte premier en importance comme en date, qu’elles rentrent par la force des choses dans leur rôle de seconde ligne, l’on en vient à déplorer encore plus amèrement la désorganisation consentie en leur faveur.

La part faite aux régimens de réserve, que reste-t-il aux unités de première ligne ? Il ne peut être sans intérêt de comparer, comme commandement, leur situation, durant les manœuvres du temps de paix, avec celle où les réduiront les nécessités actuelles de la