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d’inquiétude inutile, et que je me serais reproché d’ajouter aux vôtres, je ne vous ai pas écrit que j’étais au lit depuis le 4 septembre, et c’est encore de ce lit que je vous écris en ce moment.

Lorsque vous êtes venue à Paris, je vous ai dit, je crois, que j’éprouvais déjà quelques douleurs nerveuses de l’estomac. On en accusait mon habitude de ne boire presque que de l’eau, de ne pas manger, d’oublier de dormir pour écrire, de dîner à sept heures du soir et déjeuner à trois heures après midi, et enfin ma tempérance, une vertu ! Donc cette vertu m’a mis au lit, parce que les médecins m’ont donné des ordonnances sans nombre qui toutes m’ont été dangereuses, et ont produit ce résultat que des douleurs, des crampes d’estomac qui me saisissaient une fois dans six mois sont devenues périodiques et de chaque jour. On les traite à présent en me retenant au lit et dans la chambre, en m’affaiblissant par un régime tellement sévère que, pendant tout ce mois, je n’ai pris que du lait de chèvre froid et pas même du pain, qui serait un excès pour moi aujourd’hui encore. Et, comme en général les médecins ont la conscience parfaitement en repos pourvu qu’ils définissent bien le mal qu’ils ne guérissent pas, j’ajoute que les miens, car ils sont plusieurs et des plus illustres, nomment ma maladie : une gastralgie. Le nom étant grec, cela doit me suffire, puisqu’il signifie : douleur des nerfs de l’estomac.

Il a fallu le chagrin que vous m’annoncez pour que je vous aie parlé de moi, ce que je ne fais jamais. Je l’ai fait trop longuement et avec détail, mais c’est pour vous prouver qu’il ne faut pas moins qu’un obstacle pareil pour m’empêcher d’aller à Dolbeau.

Quand j’étais dans la Charente, d’où je vous écrivais souvent, ma chère Alexandrine, je fus atteint de la fièvre typhoïde, qui courait dans le pays et y détruisit tout un village. Je souffris et fus guéri, entre deux de nos lettres, sans vous le dire ; et, Lydia n’écrivant pas, personne ne le sut à Paris. A peine dans les environs du Maine-Giraud, on crut que j’avais été un peu enrhumé. A quoi bon, disais-je, envoyer à ceux que l’on aime le poison d’une inquiétude qui serait d’autant plus grande qu’ils ne pourraient pas avoir d’assez promptes et continuelles nouvelles ? N’ont-ils pas assez, pour les torturer, des ennuis de leur maison, et si j’en levais le toit cette nuit, qu’y verrais-je ? — Des larmes peut-être. — Pourquoi en faire couler d’autres ?

Ce sont les mêmes sentimens qui m’ont ordonné le silence