Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait inutile au point de vue du commerce, la réaction protectionniste qui a commencé de sévir depuis déjà quinze ans a montré que ces espérances n’étaient que des illusions. Aussi l’Angleterre industrielle ne voit-elle pas d’un mauvais œil des projets qui, en se réalisant, conduiraient, sinon à l’établissement d’une union douanière de l’empire, du moins à la réduction en sa faveur des tarifs des colonies ; et celles-ci, menacées de voir leurs produits bruts exclus des grands marchés du continent européen, se tournent vers la mère patrie pour lui demander de leur assurer un traitement privilégié.

Par une nouvelle coïncidence favorable à l’idée l’impériale, ces réclamations des colonies, qui ne sauraient se traduire en fait que par l’établissement de droits différentiels, — c’est-à-dire par une grave atteinte aux principes de la liberté commerciale — et qui auraient été repoussées avec indignation par les Anglais de tous les partis il y a vingt ans, sont aujourd’hui, sinon accueillies avec faveur, du moins discutées posément. Le réveil du protectionnisme atteint la Grande-Bretagne elle-même ; et si ses principes ne sont pas près de triompher, on ne peut nier qu’il existe un parti protectionniste, dont plus d’un des ministres actuels n’est pas l’ennemi déclaré. Le libre-échange, considéré encore par la grande majorité des Anglais comme un régime favorable aux intérêts du Royaume-Uni, n’est plus à leurs yeux ce qu’il paraissait naguère, un dogme qu’on ne discutait pas ; et c’est déjà là un succès pour ses adversaires. L’idée du Fair Trade, c’est-à-du commerce juste, équitable, de la réciprocité en somme, gagne du terrain et bat en brèche celle du Free Trade, du commerce libre. Les progrès que l’ait, depuis quelques années sur beaucoup de marchés et même dans certaines dépendances britanniques, le commerce allemand aux dépens du commerce anglais[1], fortifient encore le parti des hommes disposés à faire quelques concessions aux colonies pour en obtenir d’autres en retour, et réserver du moins ces débouchés chaque jour croissans à l’industrie de la métropole. Il ne faudrait pas, sans doute, exagérer l’importance de ces modifications de l’opinion anglaise, mais il ne faut pas la diminuer non plus. Le fait que le libre-échange est descendu de son piédestal pour tomber dans le domaine des choses que l’on discute est patent et significatif. Nous sommes loin de prétendre

  1. Voir à ce sujet, dans la Revue du 15 septembre, l’article de M. Arvède Barine.