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Rosebery, plus sceptiques peut-être, se soient crus obligés de flatter à maintes reprises l’idée impérialiste, il faut que cette idée ait une réelle puissance et qu’elle ait acquis une forte prise sur l’opinion anglaise. Presque tous les hommes publics d’outre-Manche se montrent partisans de la Greater Britain, de la Plus grande Bretagne : le groupe que ses adversaires flétrissent du nom de Little Englanders, d’hommes de la Petite Angleterre, dans lequel eût sans doute figuré Cobden, ne comprend plus guère que les radicaux très avancés de l’école de M. Labouchère. Les agriculteurs, qui se plaignent sans cesse, pour lesquels le gouvernement cherche à « faire quelque chose », sans bien savoir quoi, ne verraient pas d’un mauvais œil la concurrence du dehors réduite à celle des seuls produits coloniaux ; quelques industriels partageraient ces sentimens, notamment ceux qu’effraye le spectre, encore lointain, de la concurrence asiatique. Enfin, disent ceux que préoccupe l’idée de la guerre, pourquoi rester à la merci de l’étranger pour notre subsistance ? Puisque le territoire restreint des îles Britanniques ne peut, à beaucoup près, nourrir tous ses habitans, ne vaut-il pas mieux favoriser le développement de l’agriculture dans nos colonies de façon à pouvoir tirer d’elles les alimens dont nous avons besoin et que nous serons certains ainsi de pouvoir retrouver, même en cas de guerre ? Si, au début du siècle, nous avions au même degré qu’aujourd’hui dépendu de l’étranger pour notre subsistance, quelle aurait été notre situation en face de Napoléon Ier décrétant le blocus continental, et quelle serait-elle aujourd’hui dans l’hypothèse d’une guerre avec les États-Unis ? L’argument de la défense nationale, le plus fort que puissent invoquer les protectionnistes du continent, se trouve ainsi étendu à l’Angleterre.

L’isolement du Royaume-Uni au milieu des puissances — ce « splendide isolement », que lord Salisbury célébrait au début de cette année et que l’infatigable M. Gladstone voulait rendre plus complet à l’automne en poussant l’Angleterre à prendre seule en main la cause des chrétiens d’Orient, — donne une force nouvelle à l’impérialisme. Défense nationale, union commerciale, voilà les deux idées qui s’entremêlent toujours à la base de la grandiose conception d’une fédération de l’Empire britannique. L’établissement d’un Zollverein ou, en attendant, l’abaissement des barrières douanières qui s’élèvent entre les diverses parties, l’institution d’un conseil commun de commerce doublé d’un