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ministérielle ? Faussait-elle le système parlementaire ? Mais le cabinet Barrot ne représentait que la minorité ; au contraire, les nouveaux ministres, choisis dans la majorité même, en partageaient les passions et les idées bien plus que les ministres congédiés. La portée du changement, en effet très grave, est ailleurs. La Constitution juxtaposait deux responsabilités collatérales et incompatibles, celle du Président et celle des ministres. Le ministère Barrot venait de démontrer, en fait, l’impossibilité de leur coexistence : ministres et Président, sans souci l’un de l’autre, avaient tiré chacun de leur côté. Le Président supprime le conflit ou l’incohérence en abolissant la responsabilité ministérielle. Il n’aura plus en face de lui un président du conseil, au moins son égal, il sera à la fois le chef du pouvoir exécutif et le président de son ministère.

Au lieu de deux volontés il n’en existera plus qu’une. Cette simplification déplut aux monarchistes constitutionnels qui ne concevaient à la tête de l’Etat qu’un chef irresponsable, couvert par des ministres responsables ; elle aurait dû plaire aux républicains, convaincus alors, que la responsabilité présidentielle, et par conséquent la subordination des ministres, est de l’essence même du système républicain.

La distribution des ministères se fit ainsi : à l’Intérieur Ferdinand Barrot, un de ces personnages qui tiennent honorablement en politique, le rôle des utilités au théâtre ; aux Finances, Achille Fould, homme d’esprit, de club, de salon, amateur de beaux-arts, sachant même un peu de finances, ce qu’il en avait appris de son frère Benoît, banquier éminent ; aux Affaires étrangères La Hitte, dont il n’y avait rien à dire en bien ou en mal ; à la Guerre d’Hautpoul. Quand j’arrivai à Marseille, en 1848, ce général commandait la division militaire. Après m’avoir salué bien bas, il me dit : « J’ai servi le gouvernement déchu, au fond j’ai toujours été républicain. » Il avait probablement dit au Président : « Au fond j’ai toujours été bonapartiste. » Aux Travaux Publics Bineau, ingénieur distingué ; à l’Agriculture et au Commerce Dumas, homme de science éloquent qui, partout, se trouvait naturellement au premier rang.

Les deux membres les plus intéressans parce qu’ils sont devenus le noyau du personnel qui a suivi le Prince dans toutes les fortunes, ce sont les deux jeunes avocats de Riom, introduits par Morny à l’Elysée, Rouher et Parieu.