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fort, à celui qui le placerait sur le théâtre où il pourrait déployer ses rares facultés. Il crut d’abord que ce serait Lamartine ; il se précipita vers lui, l’entoura et en reçut même on présent une levrette. Lamartine effondré, il se tourna vers Cavaignac et vota pour lui. Cavaignac battu, il se fit conduire à l’Elysée par Morny, et le voilà ministre de la justice, garde des sceaux à la place de Barrot.

Bien différent l’autre avocat de Riom, Esquirou de Parieu[1]. Il appartenait à une famille de robe du Cantal. En sa physionomie sévère, aux traits concentrés, aux lignes larges, carrées, dans ses yeux aux reflets sombres, encadrés sous des sourcils proéminens, épais, se retrouvait la vigueur et l’âpreté des montagnes natales. Il n’était ni faiseur de calembours ni chanteur de chansonnettes. Il passait de longs instans en prière dans sa chambre, la tête inclinée, se frappant la poitrine avec mortification, ou bien il se promenait seul dans les champs un Code à la main. Ses solides études de droit furent poussées jusqu’au doctorat ; en même temps il avait étudié l’économie politique. En toute matière il possédait autant de doctrine que Rouher en avait peu, mais il n’était pas doué de son aimable humeur, de sa flexibilité d’esprit ; sa réserve était morose, sa finesse renfrognée, son esprit dédaigneux. Plus tard Rouher l’a beaucoup distancé. A ce premier moment ce fut lui qui l’emporta. A la Constituante il s’était révélé par un discours très applaudi contre l’élection du Président par le suffrage universel. Ministre, il s’éleva très haut dans l’estime et l’admiration de l’Assemblée par ses discours sur la liberté de l’enseignement ; malgré son débit saccadé, précipité, il gagna une réputation d’éloquence.

Rouher ne se signala alors que par l’aplomb et la facilité. Il réussit surtout auprès des magistrats. Homme d’affaires déjà très consommé, procédurier sans égal, il ignorait la science du droit et n’avait pas vécu en familiarité avec ses belles théories. Et cependant une question de législation se présentait-elle, grâce à une mémoire et à une facilité d’assimilation exceptionnelles, dès qu’on la lui avait expliquée, il en dissertait de manière à éblouir ceux mêmes qui venaient de l’instruire. Une fois cependant il fut pris au dépourvu. Un procès se plaidait devant la Chambre des requêtes de la Cour de cassation sur la propriété

  1. Né à Aurillac le 13 mars 1815.