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la revue de Satory (10 octobre) la troupe, ainsi qu’elle l’avait fait, dans les revues précédentes en présence de Changarnier, criât au défilé, non : « Vive l’empereur ! mais, Vive le Président ! Vive Napoléon ! Changarnier, qui avait naguère donné cette consigne, s’y oppose et prescrit de défiler en silence. Les deux ordres s’exécutent à la fois ; la cavalerie crie : Vive Napoléon ! quelques-uns même : Vive l’Empereur ! la ligne reste muette. Changarnier et le Président, côte à côte, peuvent du regard embrasser chacun les forces qui lui appartiennent. Voilà donc en présence de la France inquiète, de l’Europe railleuse, l’existence constatée de deux armées rivales, peut-être à la veille d’en venir aux mains, celle du Président et celle de Changarnier, celle de César et celle de Pompée.

Changarnier tempête, va faire des scènes à l’Elysée et des confidences à la commission de permanence. Il demande carrément à Carlier le préfet de police : « Etes-vous en mesure d’arrêter le Président ? — Donnez-m’en l’ordre, répond celui-ci, je le mettrai dans un panier à salade et le conduirai sans plus de cérémonie à Vincennes. » Puis il vient conter sa démarche à Odilon Barrot. « Ne craignez-vous pas, lui répond celui-ci, que Carlier n’ait reporté cette conversation au Prince et peut-être lui ait offert de vous conduire, vous, dans son panier à salade ? — Tant mieux, répond l’aide de camp Valazé, nous sommes bien aises qu’on sache à l’Elysée ce que nous pouvons faire. — Et qu’attendez-vous pour en finir ? reprend Barrot. — Je n’attends qu’une signature de Dupin. — Vous l’attendrez toujours. »

A la réflexion Changarnier crut prématuré de tenter l’épreuve, et il se contenta de lancer un ordre du jour rappelant aux troupes qu’aux termes de la loi, l’armée ne délibère pas ; qu’aux termes des règlemens militaires, elle doit s’abstenir de toute démonstration et ne proférer aucun cri sous les armes. Si cette bravade fût restée impunie, le Président était virtuellement déposé, et Changarnier, appuyé par l’Assemblée, maître de l’armée, obtenait la dictature. Les impétueux tels que Persigny voulaient riposter à l’ordre du jour, dès le lendemain, par la révocation du général. Le Prince, lucide, maître de lui, comprend que l’heure décisive de sa destinée présidentielle est arrivée et qu’il ne doit pas laisser la moindre chance au hasard. Changarnier brisé, il n’a plus à craindre aucun obstacle sérieux. Mais pour qu’il soit irrévocablement brisé, il faut que l’opinion adhère à l’exécution, en