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ajoute qu’en France le gendarme par excellence, c’est le gouvernement. « On dirait que tous les malfaiteurs ont l’œil sur lui comme les écoliers sur le surveillant, épiant son discrédit, ses distractions ou ses somnolences. Sans le prestige de ce gendarme, la gendarmerie ne peut rien. » Le despotisme n’est pas nécessaire à l’ordre ; mais l’ordre est nécessaire aux républiques encore plus qu’aux monarchies, et qui ne sait que Montesquieu considérait les républiques comme impossibles sans la « vertu » ?

Non seulement nous punissons de moins en moins, mais les peines sont de plus en plus inefficaces. Tandis qu’en Angleterre le hard labour est à bon droit redouté, nos prisons deviennent des hôtelleries confortables « où le criminel se repose des fatigues. du métier. » La perte momentanée de la liberté n’est plus « qu’un risque inhérent à l’entreprise. » Quelle est l’influence de ces prisons sur les jeunes délinquans ? Simplement de dissiper chez eux la vague terreur jusqu’alors associée à l’idée du cachot. Effet qui est d’ailleurs le même chez les criminels plus âgés, lorsqu’ils sont emprisonnés pour de courtes périodes. Sortis de prison, les délinquans retournent bientôt à leur milieu primitif, à leur petite « patrie criminelle », qui, a-t-on dit, est toujours prête à les accueillir les bras ouverts. Un long internement dans des maisons de travail, surtout agricoles, et la relégation dans des colonies spéciales, sans aucun mélange avec les autres colons, sont des moyens plus rationnels ; les petites peines ne servent qu’à aggraver la situation et à démoraliser davantage le condamné. En enfermant pêle-mêle les délinquans de toute espèce, nous changeons nos prisons en lieux de culture pour le vice ; nous préparons nous-mêmes la récidive, la transformation finale d’un acte délictueux en toute une vie de crime. Après quoi, les partisans de Lombroso classent doctement ces criminels d’habitude parmi les « criminels-nés ». Ils les reconnaissent même à la physionomie, oubliant qu’on reconnaît de même un soldat ou un moine, qui ne sont nés ni soldat ni moine. Nous sommes loin de nier les services rendus par l’ « anthropologie criminelle », et ils sont considérables ; mais, uniquement attentive au physique, elle oublie trop que moralité et immoralité ont des causes principalement morales. Comme nous l’avons vu, celle loi se vérifie de plus en plus à mesure que les facteurs d’ordre intellectuel et moral vont l’emportant sur le milieu physique, géographique et ethnique.

En résumé, à mesure que se précipite la civilisation