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hors d’état de faire un effort. La même incurie sévissait dans les choses militaires que dans les choses politiques. Cuba était dégarnie de troupes : elles n’avaient que de vieux remington et des canons de bronze ; les chemins étaient impraticables : la ligne forte, la trocha de Moron à Jucaro était démantelée, coupée en vingt endroits ; les impôts rentraient mal, les fonds du Trésor étaient bas ; au contraire, du côté cubain, les récoltes avaient été bonnes, il y avait de l’argent dans les caisses. Pendant que les gouverneurs généraux dormaient, la junte révolutionnaire de New-York avait agi. La loi Maura n’était pas promulguée, ses débris disjoints n’étaient pas recollés, que l’insurrection éclatait, formidable, balayant ceux qui n’avaient voulu ni voir ni entendre, le général Calleja d’abord, M. Sagasta ensuite.


IV

Et la deuxième ou troisième guerre cubaine dure, se prolonge, et traîne depuis vingt-trois mois. On a dit qu’elle avait déjà usé deux méthodes, deux critériums, deux politiques, deux généraux. Pour la méthode, le critérium, la politique, on songeait, en le disant, à la retraite de M. Romero Robledo et à la transformation que, de ce fait, a subie le ministère ; mais les personnes peuvent changer sans que la politique soit changée, puisque, M. Romero Robledo étant parti et M. Castellano étant entré, il reste toujours M. Canovas. Quant aux généraux, il est vrai que le maréchal Martinez Campos est revenu de la Havane et que le général Weyler est allé l’y relever : il est peut-être vrai que, si quelque victoire n’intervient pas, il faudra apaiser l’opinion effarée et qu’un autre, à son tour, ira relever Weyler.

Dure maîtresse que l’opinion ! Femme, comme la Fortune, et changeante comme elle ! C’était elle qui avait impérieusement désigné Martinez Campos pour le commandement de Cuba. Elle le voulait : elle avait failli s’irriter parce qu’on le lui faisait un peu attendre. Il s’était embarqué au milieu de l’enthousiasme populaire : tout le long de sa route, il avait reçu des députations et des fleurs ; jamais triomphateur n’était rentré dans la patrie sauvée, jamais le Cid dans Burgos, acclamé, comme il le fut, sur la foi de son nom, avant la bataille. L’opinion se trompait, pour n’avoir pas su — elle le sait rarement — discerner les circonstances :