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grand vizirat. D’autres esprits, non moins convaincus, comme Aali-Pacha, comme Fuad-Pacha, se groupèrent autour de lui ; ils fondèrent une école, un parti, celui de la réforme ; malheureusement il ne recruta qu’un petit nombre d’adeptes, la plupart sortis des rangs de la population chrétienne qui s’étaient abreuvés aux sources des universités européennes. Nous dirons plus loin les causes qui ont stérilisé l’œuvre de ces rares clairvoyans.

Il convient toutefois de rendre bonne justice à Rechid-Pacha, comme aux ministres qui s’étaient associés à sa fortune et à ses idées, en reconnaissant qu’ils n’ont négligé aucun soin, qu’ils n’ont reculé devant aucun péril pour assurer l’exécution du programme dont ils s’étaient constitués les instrumens. Ils engagèrent, avec l’esprit rétrograde et fanatique des corporations religieuses et des masses populaires, une lutte qu’ils soutinrent avec la plus louable énergie. Ils soumirent, à la sanction du nouveau sultan qui les agréa, des firmans ratifiant ceux de Mahmoud dont ils comblaient les lacunes. On eut, à cette époque, ils eurent eux-mêmes l’illusion du triomphe prochain de leurs doctrines. On ouvrit des écoles et on en étendit l’enseignement à des matières qui avaient été, jusque-là, exclues des établissemens scolaires. On élabora de nouveaux codes ; on remania les institutions judiciaires ; on créa des tribunaux mixtes où les chrétiens furent appelés à siéger concurremment avec les musulmans, et devant lesquels leur témoignage devait être reçu au même titre. Pour assurer le respect de ces mesures et de bien d’autres non moins essentielles, on multiplia les instructions de nature à éclairer les agens de tout ordre ; on leur enjoignit de s’inspirer de l’esprit de justice dont le maître de l’empire leur donnait un si éclatant exemple, d’apporter, dans l’exercice de leurs attributions, le respect dû à la liberté et à la fortune de tous ses sujets. On usa de rigueur, dans plus d’une occasion, contre les fonctionnaires réfractaires ou incorrigibles.

Sentant bien, en présence des obstacles qu’ils rencontraient, que l’appui de l’Europe leur était nécessaire, et convaincus qu’il serait efficace, ces novateurs eurent recours à son aide en mettant, en quelque sorte, l’œuvre entreprise sous son égide. C’est ainsi que dans les accords internationaux auxquels la Turquie a participé, ils n’hésitèrent pas à donner des assurances équivalant à des engagemens diplomatiques, autorisant les puissances à contrôler les actes de la Porte, à la contraindre au besoin, par des représentations désormais légitimes, à effectuer les