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rôle naturel dans le jeu des échanges. Mais ne croyons pas qu’il suffise d’une modification de tarif pour régulariser le marché. Il y a des syndicats qui ne vivent que grâce aux droits d’importation, cela est certain : sucre, plomb, acier, huile de lin, tous ces produits verraient disparaître, avec ces droits mêmes, la hausse artificielle qui maintient actuellement leurs prix à des cours excessifs. Au contraire les autres grands monopoles américains sont bien indépendans du tarif, et un changement dans la politique douanière de l’Union n’affecterait, par exemple, ni le syndicat du pétrole, ni celui de l’alcool, ni celui de la viande. Si le régime protecteur peut en effet favoriser certains monopoles, il n’en représente pas la cause unique, et son influence n’est qu’accessoire auprès de la tendance générale de l’industrie moderne à la centralisation. Supprimez toute barrière de douane, vous verrez même se former des syndicats industriels internationaux. Le libre-échange peut atténuer les abus des grands monopoles, il ne suffirait pas à les faire disparaître : n’y cherchons point une panacée économique.

La question reste donc entière, et devant l’influence croissante de ce facteur nouveau, l’association, dans le régime des échanges, devant les excès des grands trusts industriels, on cherche en Amérique quelle peut être l’action, quel doit être le rôle de l’Etat. Protestant contre l’accusation de monopole, les syndicats demandent qu’on respecte le libre jeu des forces économiques et réclament le « laisser faire » ; leurs adversaires dénoncent en eux les tyrans de la société et exigent leur anéantissement immédiat : il nous paraît que les uns et les autres ont tort. A supposer que ce soit possible à l’heure présente, détruire les trusts, c’est ressusciter le régime ancien de la concurrence illimitée avec son gaspillage déplorable, ses guerres incessantes, son cortège de ruines et de désastres, c’est tuer l’industrie moderne. A-t-on bien le droit de priver la communauté des bénéfices d’un régime qui lui apporte l’économie dans la production, l’ordre dans le marché, la fixité dans les prix? Il faut laisser vivre les trusts, mais en même temps il faut garantir la société contre leur oppression en prévenant leurs abus; les accepter dans leurs qualités, corriger leurs défauts, voilà la voie à suivre. — Ce n’est pas qu’il soit facile d’adapter une méthode nouvelle de travail industriel aux conditions spéciales d’un marché, de régulariser le fonctionnement de l’association dans le régime de la production de manière à réprimer