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historique et local, pour tenter des peintres préoccupés avant tout de l’émotion dramatique, ou contraints à chercher leurs modèles dans le milieu spécial qui les entourait. On n’en trouverait guère, par exemple, qui aient traité avec quelque bonheur les Vocations des Douze Apôtres, ni les Voyages de Jésus à Jérusalem, ni ses Prédications et ses Miracles dans les Synagogues, ni ses Prédications dans les barques et au bord du lac, ni le Repas chez Mathieu, ni la Guérison des lépreux et de l’hémorroïsse, ni la Conversion de Nathanaël, ni l’Entretien avec Nicodème, ni les Conciliabules des Pharisiens et le Complot des Prêtres: tous sujets qui ont fourni à M. Tissot la matière d’innombrables peintures, plus précises, plus typiques, plus instructives les unes que les autres. Et quelques-unes d’entre elles lui ont fourni par surcroît la matière de véritables chefs-d’œuvre de couleur et de sentiment, des compositions à la fois si chrétiennes et si artistiques que je ne vois rien dans toute la peinture religieuse de ce siècle qui puisse, même de loin, leur être comparé. Telles ses grandes planches du Lépreux de Capharnaüm, du Pharisien et du Publicain, de Jésus assis au bord de la mer, du Conseil chez Caïphe, mais surtout les planches où il nous montre le Christ s’avançant par les rues étroites et grimpantes des villes et villages de la Galilée.

Tout au plus pourra-t-on regretter que, sur certains points d’ailleurs secondaires, il ait manqué lui aussi à ce qui semble avoir été la vérité historique : ainsi quand il nous a représenté sous l’aspect désert et triste qu’ils ont en effet aujourd’hui ces bords du lac de Tibériade qui devaient être, au temps de Jésus, peuplés d’élégantes villas, avec un grand mouvement de commerce et de luxe[1]. Peut-être a-t-il eu tort également de chercher à Nazareth, parmi cette population galiléenne aux formes si nobles et aux traits si purs, le modèle qui lui a servi pour la figure du Christ. La mère de Jésus habitait Nazareth, c’est à Nazareth et en Galilée que Jésus lui-même a vécu sa vie presque entière : mais la Galilée n’était pas sa patrie. Descendant de David, il était juif; et ceux-là seuls le tiennent pour un Galiléen qui, comme Renan ou Tolstoï, refusent de voir en lui le Messie des prophètes. N’avons-nous pas, d’ailleurs, jusqu’à cinq images de ses traits, toutes datant des premiers siècles, et qui concordent entre elles de la plus saisissante façon? C’est le même visage, au type israélite

  1. Six cents ans plus tard, Antonin Martyr trouvait encore la Galilée dans l’état le plus florissant, et comparait sa fertilité à celle des rives du Nil.