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faussée », nous préférons le Christ qu’elles nous montrent à celui des deux peintures correspondantes de M. Tissot. Encore celles-ci, comme nous l’avons dit, ne sont-elles qu’une exception dans l’ensemble de l’œuvre. Cent autres des compositions qu’elle nous offre témoignent d’un haut sentiment de l’idéal chrétien et supportent, sans trop de dommage, d’être mises en regard de celles des vieux peintres : mais c’est parce que M. Tissot, au lieu de chercher à rectifier les erreurs de ses devanciers, y a suivi le même instinct profond qui les avait tous animés.

Ces braves gens ont toujours eu l’impression, eux aussi, qu’en vertu même de la divinité de Jésus les hommes et les choses, autour de lui, avaient dû être relevés de leur réalité coutumière, que son contact avait suffi pour transfigurer la nature, et que la meilleure façon, pour eux, de peindre avec vérité les scènes de l’Evangile, était de les peindre aussi belles qu’il leur était possible. Et c’est à quoi ils ont tous tâché, chacun suivant sa manière propre, de concevoir la beauté. Les uns, d’imagination faible, mais observateurs excellens, ne connaissaient rien de plus beau qu’une image bien fine et bien minutieuse, où, depuis les plis des visages jusqu’aux feuilles des arbres, tout était reproduit avec la même justesse. D’autres plaçaient la beauté dans l’émotion, soit qu’elle résultât pour eux de l’expression et du mouvement des figures, ou de l’harmonie des couleurs, ou du jeu contrasté de la lumière et de l’ombre. Et d’autres encore se sont trouvés, ui faisaient consister la beauté dans la beauté même ; de l’imperfection des formes réelles ils savaient dégager des formes parfaites, et c’était comme si le chaos des apparences se fût ordonné et purifié, au seul contact de leurs yeux. Mais tous, et ceux-là et les autres, tous depuis Raphaël et Titien jusqu’aux plus grossiers des réalistes flamands, ils ont mis leur sens de la beauté au service de leur foi. Chacun s’est efforcé de glorifier de son mieux, et par les moyens qui lui étaient les plus familiers, l’histoire surnaturelle dont leur âme était pleine. Et M. Tissot a fait comme eux. Si son œuvre nous touche autant que la leur, c’est à cause de la beauté artistique dont il l’a revêtue, et de l’ardente foi qui la lui a inspirée. Par là elle se distingue des peintures religieuses de notre temps, bien davantage que par l’exactitude des détails extérieurs. Le peintre nous dit bien que son père, « chrétien de vieille roche et catholique fervent», a été stupéfait d’apprendre « que le Calvaire n’était pas une haute montagne en pain de sucre couverte de rochers et