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causes, parmi lesquelles il faut compter l’avènement de la démocratie par l’achèvement de l’universalisation du suffrage en 1884 et l’épuisement du programme des réformes purement politiques, un énorme changement est survenu. Le schisme libéral unioniste de 1886 en a été le symptôme, la conversion de M. Gladstone au home rule l’occasion ou le prétexte. Il était naturel et à prévoir que l’aristocratie whig, une fois sa tâche accomplie, graviterait vers l’orbite du conservatisme où l’attiraient toutes ses sympathies, tous ses instincts et tous ses intérêts. L’imprévu, l’extraordinaire, ç’a été qu’à la défection en quelque sorte légitime d’un duc de Devonshire se joignît la volte-face d’un Chamberlain, c’est-à-dire de l’homme d’État qui avait été le plus loin dans la voie des avances au nationalisme irlandais et au socialisme anglais. Voir l’ex-leader radical siéger à côté de lord Salisbury dans un cabinet conservateur où il balance l’autorité de son chef et celle de M. Arthur Balfour ; le savoir en passe de recueillir, s’il le veut, la succession de Disraeli à la tête du torysme rajeuni et renouvelé, c’est assurément là un signe des temps. Les positions de jadis sont complètement renversées. C’est au tour des conservateurs de couler au pouvoir autant d’années que leurs rivaux y passent de mois. C’est aux libéraux à se laisser envahir par ces doctrines conservatrices qu’ils eussent naguère répudiées avec horreur. Avec les progrès de l’impérialisme et de ce chauvinisme jingo qui a peut-être plus à attendre de lord Rosebery que de lord Salisbury, le parti libéral a ouvert la place à l’ennemi. C’est la revanche du torysme. Dans le même temps où l’esprit des soi-disant progressistes se laisse saturer d’élémens rétrogrades, la jeunesse, au lieu d’apporter chaque printemps au libéralisme le contingent de ses recrues, se porte en masse au néo-conservatisme.

Cette révolution a déjà porté ses fruits, il y a un an, le corps électoral donnait à lord Salisbury une majorité presque sans précédent de cent cinquante voix. C’est la réconciliation ou la fusion de ces classes si longtemps hostiles, — l’aristocratie foncière et la haute bourgeoisie à fortune mobilière. C’est l’embrassement de la terre et du capital. Bien qu’en Angleterre le régime parlementaire ait pour lui les traditions d’une histoire six fois séculaire, ce n’est point à son profit que s’est accompli ce triomphe conservateur. La Chambre des communes n’occupe plus tout à fait dans la vénération instinctive de l’Anglais la