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Un d’entre eux, dans la préface d’une Histoire du marquis de Clèmes et du chevalier de Pervanes, me semble avoir assez clairement défini les tendances communes et les communes prétentions qui font d’eux une école. Autrefois, fait-il observer, « le public, convaincu par les auteurs mêmes de la fausseté de ce qu’ils écrivaient, ne laissait pas de s’en amuser » ; dans la suite, on se dégoûta des fictions : « cela n’ôta point aux auteurs l’envie d’en faire, mais ils tâchèrent de les déguiser. »

La remarque est juste. Pendant les soixante ou soixante-dix premières années du siècle, que le roman fût héroïque ou qu’il fût burlesque, il était et ne se cachait point d’être un récit imaginaire. Non qu’il ne s’y reflétât rien de la réalité contemporaine : les précieuses retrouvaient dans l’Astrée, dans l’Artamène, dans la Clélie, dans le Pharamond, l’idéal qu’elles s’étaient fait de l’amour, l’écho de leurs subtils entretiens, quelquefois, à travers la mascarade antique, leurs modes ou leurs portraits ; et maintes silhouettes crayonnées d’après nature, silhouettes d’écoliers et de régens de collège, d’auteurs et d’acteurs, de paysans et de gueux de Paris, de marchands et de juges, défilaient dans le Francion, dans le Roman comique et le Roman bourgeois. Mais ici et là, la réalité ne se montrait que sous les apparences du mensonge, travestie en poème épique ou en farce de tréteau. Ni d’Urfé qui met en scène des magiciens et des nymphes, ni Mlle de Scudéry qui représente les familiers de l’Hôtel de Rambouillet sous les traits des Mèdes et des Romains et raconte la bataille de Rocroy dans le Cyrus, ni Scarron qui se demande tout haut à la fin du chapitre Ier : « Que pourrai-je bien dire dans le chapitre II ? » ne prétendaient faire illusion au lecteur, et l’illusion n’était point nécessaire à son plaisir. Il n’en va plus de même à partir de 1670. C’est la fable d’abord qui passe de mode ; puis le moment vient où la vérité elle-même, si elle est trop générale et abstraite, ne suffit plus. Vers la fin du règne de Louis XIV, peindre le particulier est le plus sûr moyen de réussir auprès des « honnêtes gens ». Peut-être est-ce en partie l’effet de la vie de cour et de salon qui les a habitués à s’étudier et, si j’ose dire, à s’épier les uns les autres, de cette vie qui a formé le génie de Saint-Simon. Ils se plaisent, après avoir lu et relu les Caractères, à retrouver au théâtre, dans telle ou telle pièce de Dancourt, la fine et piquante notation des menus faits dont se compose l’actualité. En revenant de la comédie, ils feuillettent soit les Amusemens sérieux et comiques de Dufresny qui