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que vers le Sud où est notre intérêt. Nous ne pouvions pas tolérer plus longtemps que l’Autriche dominât toute l’Italie. Mais l’Autriche gênait la Prusse en Allemagne autant qu’elle nous gênait en Italie. Elle était l’ennemi commun ; une alliance contre elle était tout naturellement indiquée à la Prusse et à la France. L’Autriche réduite, le futur empereur n’avait pas l’intention de lutter contre la force des choses et d’inquiéter l’Europe par une avidité inintelligente. La force des choses demandait que l’Italie comme l’Allemagne se constituassent sur des bases nationales. Il suffisait à la France de chasser les Autrichiens de l’Italie, qui ensuite s’organiserait selon ses propres convenances. Si la Prusse aidait l’empereur dans cette tâche, il la laisserait volontiers constituer l’Allemagne selon les aspirations nationales. La France était assez grande pour ne désirer en compensation aucune extension. Elle pouvait, en faisant un usage judicieux de sa puissance, diriger le monde, tandis qu’en redevenant conquérante elle armerait l’univers contre elle. Cependant Napoléon ignorait lui-même si, pour justifier ses entreprises civilisatrices, il ne faudrait pas exhiber devant l’opinion publique ce qu’on appelle un profit réel. Dans ce cas, il penserait à la Savoie ou à Landau.

L’exubérant ambassadeur eut beau se dépenser en démonstrations et en prophéties, il ne convainquit pas. Le roi éprouvait à l’égard des Napoléon l’aversion insurmontable que lui avaient inspirée les abaissemens et les malheurs de sa famille sous le premier empire. Ce sentiment n’était pas moins vif dans sa cour, dans sa diplomatie, dans son armée. Le parti féodal en était à l’exécration : là on remontait au-delà de Napoléon, on écumait encore en se ressouvenant de la dévastation du Palatinat par Louis XIV. Les avances de Persigny furent accueillies par l’incrédulité et le dédain. On ne chercha pas même à lui cacher qu’on ne prenait pas son prince au sérieux et qu’on attendait la restauration prochaine de la monarchie que laissaient pressentir les rapports de Hatzfeld, l’habitué des cercles légitimistes et orléanistes de Paris. La première fois que la princesse de Prusse aborda notre ambassadeur, elle célébra avec exaltation la duchesse d’Orléans. Le prince Frédéric-Charles lui dit : « Oh ! je pense bien que le duc d’Orléans ne tardera pas à être roi de France ! » Chacun parlait à l’avenant. Dans cette atmosphère glacée, un seul homme, Bismarck, malgré l’ardeur de ses convictions réactionnaires, ne craignit pas de se compromettre en se montrant poli, bienveillant,