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politique tout différent de ce qu’il est derrière les coulisses[1]. »

Ainsi Cavour et Bismarck arrivaient aux affaires, presque au même moment, à la veille du jour où le Prince, sans lequel ils auraient manqué leur destinée, allait être investi de l’omnipotence, l’un à un second rang dont il ne tarderait pas à faire le premier, l’autre en une fonction subordonnée où il languit quelque temps. L’un arrive parce qu’il a abandonné sa caste aristocratique, l’autre parce qu’il la représente. Ce double événement dont on ne soupçonna pas alors l’importance se perdit au milieu du fracas déjà assourdissant de notre tempête intérieure.


IX

Pour constituer un nouveau cabinet, le Président, qui n’avait pas un choix très étendu, appela de nouveau Odilon Barrot. Le premier mot de celui-ci fut : « La prorogation de vos pouvoirs au moyen de la révision vous suffit-elle ? — Oui, répondit résolument le Prince, mes désirs ne vont pas au-delà. » — D’accord sur ce premier point, on le fut aisément sur un second : la modification de la loi du 31 mai. Cette loi n’avait pas été un piège tendu à des adversaires. Le Prince ne l’avait pas présentée perfidement avec l’intention secrète de la désavouer quand la majorité se serait compromise en la votant ; on l’a vu, c’est la majorité elle-même qui en avait pris l’initiative et pesé sur lui pour qu’il la proposât. Il n’avait pas tardé à se convaincre de l’étendue de cette lourde faute, et comme il n’apportait aucun amour-propre dans la conduite des affaires, il résolut de la réparer. Odilon Barrot consentit à l’y aider. On en vint alors au choix des personnes. Le Prince proposa Billault à l’Intérieur. « Il est impossible, répondit Barrot, à cause de son discours sur le droit au travail. — Alors, prenez Léon Faucher, il est sympathique à la majorité. — Mais, répond Barrot, il est antipathique aux autres partis, il est d’ailleurs intraitable sur la loi du 31 mai ; il préférerait se couper le bras, dit-il, que de toucher à cette arche de salut. » Ne sachant à qui s’adresser, le Prince constitua provisoirement un ministère d’affaires, composé d’hommes distingués, quelques-uns éminens : Vaïsse, réputé un administrateur consommé ; de Boyer, un magistrat d’autorité et de remarquable talent ; Schneider, un

  1. Discours du 13 mars 1867. — Machiavelli, Discorsi, lib. I, cap. XLVII.