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la France avec quelques-unes de ses émules, parmi ces grandes personnes morales, ces grands acteurs de l’histoire qu’on appelle des États, des nations. Voici l’Italie, la dernière venue de nos six puissances européennes; que lui manque-t-il, à cette antique et jeune Italie, pour jouer dans le monde le rôle dont, après tout, elle est digne par son passé, par son énergie, par son génie? Une des choses qui lui manquent le plus et dont le défaut la tient, malgré toutes ses velléités de révolte, dans la dépendance de l’étranger, c’est un grand marché financier. Comparez la Bourse de Rome à la Bourse de Paris : l’infériorité éclate au premier coup d’œil. Sur le terrain financier, l’heure est encore loin où l’Italie pourra jeter à l’Europe son présomptueux farà da se. Ses efforts pour se passer du marché français, froissé de sa politique anti-française, n’ont pas profité à ses finances; si le mauvais vouloir de la Bourse de Paris n’a pas été, comme le prétendent souvent les Italiens, l’unique cause de la baisse de leur crédit, l’Italie n’a pu s’affranchir de la tutelle du marché de Paris qu’en subissant celle du marché de Berlin. Or l’Italie ne sera vraiment une grande puissance que lorsqu’elle aura conquis, avec un marché autonome, son indépendance financière.

A l’autre extrémité de l’Europe, voilà un grand État et un grand peuple, le plus vaste État des deux continens, un peuple encore jeune qui grandit chaque jour en force et en nombre, un peuple comme adolescent qui couvre à peine la moitié de ses immenses territoires et qui, par la population, l’emporte déjà sur les plus populeuses des nations chrétiennes. L’étendue et la continuité de ses domaines, la fécondité de ses terres noires, ses vastes gisemens de houille et ses lacs souterrains de pétrole, ses mines de fer et de métaux précieux, plus encore que ses armées innombrables, lui assurent des ressources illimitées ; tandis que l’unité de son gouvernement, la concentration de toutes ses forces aux mains d’un autocrate incontesté, et plus encore peut-être, le dévouement et la foi de son peuple en son Dieu et en son tsar lui donnent, entre nos peuples modernes, tous plus ou moins livrés à l’esprit de dispute et de discorde, la redoutable supériorité de l’unité de volonté et d’action. Si d’autres convoitent l’hégémonie de l’Europe, d’autres l’empire des mers et des plages tropicales, c’est le seul État qui puisse rêver de l’hégémonie du vieux continent et embrasser à la fois l’Occident et l’Orient. Il n’a pas fait encore l’essai de ses forces, et, déjà, les peuples se montrent inquiets