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d’ailleurs pas tardé à s’apercevoir que le roi et ses ministres avaient pris le parti de ne rien cacher de leurs déterminations. Bien au contraire, ils les affichaient. Ils les ont notifiées à l’Europe afin qu’elle n’en pût ignorer. Et quelles étaient ces résolutions ? La Grèce déclarait qu’elle ne pouvait pas se désintéresser des affaires de Crète, c’est-à-dire des efforts d’une population qui, se confondant déjà avec elle par l’identité de race et de religion, aspire à une fusion complète. Nous ne raconterons pas ici, car tout le monde les connaît déjà, les circonstances caractéristiques du départ du prince Georges, le second fils du roi, qui s’est embarqué pour la Crète à la tête d’une petite flottille de torpilleurs, et que son père a accompagné jusqu’au port au milieu d’une population dont l’enthousiasme tenait du délire. Comment pourrait-on se tromper sur ce qu’il y a eu de prémédité, de réfléchi, de voulu, d’irrévocable dans des manifestations de ce genre ? Il faudrait, pour cela, fermer les yeux à l’évidence. La Grèce risque l’aventure. Le jeune prince qu’elle vient d’envoyer en Crète n’en reviendra pas sans avoir essayé de faire quelque chose. Mais que fera-t-il ? Et que lui laissera-t-on faire ? Quelle sera l’attitude de l’Europe, présente tout entière par ses navires, ses puissans cuirassés, ses canons formidables, si la petite escadrille grecque cherche, comme elle en annonce l’intention, à couper les communications militaires de la Porte avec une île qui appartient incontestablement à celle-ci, au moins jusqu’à ce jour ? Allons-nous voir un nouveau Navarin ? Nous entrons dans l’inconnu, et il est permis de tout attendre de l’audace des uns et du désarroi des autres, — tout, sauf une solution tout à fait satisfaisante. Quoi qu’il en soit, la Grèce a jeté le masque, et il est difficile de croire qu’avant de le faire, elle ait négligé de se renseigner et de prendre ses précautions.

Une situation aussi grave exige des mesures immédiates de la part du sultan et de l’Europe. Le sultan ! Il faudrait qu’il fût atteint de la pire surdité, de celle des sourds qui ne veulent pas entendre, pour ne pas recueillir l’écho chaque jour grandissant de l’immense clameur qui s’élève contre lui. L’opinion de l’Europe est faite sur son compte. Nous ne rechercherons pas si elle est bien faite, si elle est complètement équitable, ni si elle a tenu suffisamment compte des difficultés contradictoires avec lesquelles ce malheureux souverain s’est trouvé et se trouve encore aux prises. Il ne s’agit pas en ce moment de discuter la complète légitimité d’un état d’esprit devenu général ; il faut en tenir compte comme d’un fait que rien ne pourra modifier avant longtemps. Trop de sang a coulé en Orient ; l’horreur de tant d’holocaustes a enfiévré les imaginations ; on cherche, comme il arrive toujours en