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VII


Paris, lundi 31 décembre 1849.

Il y a des personnes pleines de raison qui disent qu’il est fort mal de ne pas inviter sa cousine aux grandes séances publiques de l’Académie française. Pour moi, je craignais un peu que vous n’eussiez froid aux pieds, mais au contraire on étouffait à la réception du duc de Noailles. Si vous êtes courageuse, venez à celle d’Alexis de Saint-Priest : vous l’avez vu, je crois, un matin chez moi. Il était ambassadeur en Portugal il y a deux ans. Nous avons reçu là deux citoyens assez peu révolutionnaires, comme vous voyez. Il y aura encore cette fois tout le faubourg Saint-Germain, et si vous n’avez pas vu encore nos séances publiques, cela pourra vous intéresser. Je crois peu à votre arrivée, mais si par impossible vous vous en avisez, écrivez-moi sur-le-champ pour avoir des billets réservés.

J’ai presque des remords d’avoir quitté le Midi, car ma pauvre Lydia semble ne plus pouvoir supporter l’air de Paris. Elle est au lit depuis trois semaines et souffre beaucoup de la poitrine ; mais le froid n’est-il pas rigoureux partout, cet hiver ?

Malgré cela, si j’étais libre, j’irais à Tours tout exprès, madame Alexandrine, pour vous parler d’un traité de théologie qui m’occupe beaucoup, et sur lequel un abbé m’a consulté. Si vous aviez été là hier, vous seriez venue avec moi dans votre loge du Gymnase voir une criminelle comédie qu’on nomme : Quitte pour la peur, et qui est jouée à ravir par une certaine Rose Chéri, jeune et charmante célébrité, qui ressemble dans ce rôle à Mlle de Coulanges, de Stello, qui ne vous est pas inconnue. Elle vous aurait fait « pardonner peut-être les péchés de l’auteur » : par ces mots finissent toutes les pièces de Calderon.

Jeudi dernier, à l’Académie, quand MM. Guizot, Salvandy et Pasquier me demandaient tour à tour la parole, je pensais à ce que vous m’auriez dit si vous aviez été assise dans mon grand fauteuil : — « Est-il bien vrai, Alfred, qu’il y ait eu une révolution ? » — Grâce au ciel, chère belle cousine, je viens de quitter ces grandeurs, et je descends du trône de la Présidence sans avoir conduit le convoi de personne. Un de mes amis, obligé de faire l’éloge d’un de nos confrères, me disait en partant : Je n’aime pas mon mort. Moi, j’aurais bien pu dire en recevant celui qui sera élu : Je n’aime pas mon vivant. J’ai de mes mains dépouillé le