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que l’architecture est, après le paysage, l’art qui peut le mieux rappeler la Nature, Ruskin a aimé l’architecture mieux que la statuaire, mieux que le portrait, mieux que tout ce qui ne nous rappelle que des hommes. Et parce que, parmi toutes les architectures, la gothique est celle qui reproduit le plus abondamment et le plus fidèlement les entrelacs des branches, des courans, des feuilles et des fleurs, il a hautement préféré le style gothique au roman ou au byzantin ou à l’arabe ou au renaissant. Dans tous ses jugemens, au fond des noires et froides cathédrales, il reste le paysagiste épris de rochers, de verdures, de fleuves et de soleil. Dans les Baptistères, il pense aux lits rocailleux où coulent les sources et devant les coupoles, il songe au des rond des masses de granit. Les montagnes lui enseignent la construction des églises. Il veut que, dans une basilique, les pierres soient posées dans le sens où elles gisaient dans la carrière, dans le sens de leur lit et non debout, en délit. Il lui faut des blocs de marbre visiblement couchés selon des lignes quasi horizontales, parce que les masses du Cervin sont vues ainsi. Il n’aime guère la ligne droite, car la Nature ne la donne point souvent d’elle-même et il querellerait volontiers les cathédrales de Pise, de Florence, de Lucques et de Pistole, pour leurs ornemens géométriques, s’il ne s’avisait à temps qu’il en a vu de pareils dans les cristaux. Mais comme les cristaux ne se trouvent point fréquemment à l’état visible dans la nature, il ne veut point que leurs figures se retrouvent fréquemment dans la décoration.


Tous les beaux objets sont terminés par des lignes délicatement incurvées, excepté là où la ligne droite est indispensable à leur usage ou à leur stabilité et lorsqu’un système complet de lignes droites est nécessaire à cette stabilité comme dans les cristaux, la beauté, s’il y en a, réside dans la couleur ou dans la transparence, non dans la forme. Découpez la forme de tel cristal que vous voudrez en de la cire blanche ou du bois blanc, et placez-le auprès d’un lis blanc, et vous sentirez la force de la courbe, en sa pureté, lorsqu’on fait abstraction de la couleur ou des autres élémens de beauté qui viennent s’y ajouter. Et comme la branche d’arbre, par exemple, ne donne que rarement une courbe assez régulière pour être ramenée à un segment de cercle, le Maître proscrit cette courbe comme tout ce qui est géométrique et peut « le moins du monde être mesuré par le compas ».


Il s’irrite donc contre l’architecte qui arrondit selon les lois les plus précises de la science la courbure de ses trèfles. En étudiant le roman et le byzantin, il attend avec impatience le moment où le cintre prend la forme d’une feuille : l’ogive. Il regarde