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pénétré tous les secrets de l’âme japonaise, de l’âme chinoise. Il faudrait, pour cela savoir le chinois et le japonais, et ce n’est pas une petite affaire. D’ailleurs, sût-on les langues, les sentimens de l’homme jaune sont une énigme difficile à déchiffrer ; nous avons déjà tant de peine à déchiffrer la nôtre ! Les passans ne voient que la façade de la maison, les dedans leur restent inconnus ; mais, toutes les fois qu’il a trouvé une fenêtre ouverte, M. Seippel a regardent les croquis d’âmes qu’il a rapportés sont finement touchés et font honneur à son crayon.

Au mont Nikko, dans un cimetière de héros qu’un vieux bonze a converti en jardin, lieu de solitude et de silence, il avait fait amitié avec une petite Japonaise au cœur compatissant. Elle s’appelait Oharou, c’est-à-dire Printemps. Elle s’était donné la tâche de raccommoder un petit bouddha, très petit, qui avait perdu sa tête. Ayant ramassé la boule de pierre, elle la remit en place, en la fixant avec des bandelettes de toile. Pour s’assurer que le bouddha malade n’aurait pas froid pendant les longues nuits pluvieuses, elle l’emmaillota de langes blancs ; mais elle désirait aussi qu’il eût bonne tournure, et elle l’avait affublé d’une ceinture avec un grand pouf derrière le dos, tout pareil à celui qu’elle portait elle-même. Mlle Printemps pensait que le bouddha si bien soigné ne serait pas un ingrat, que dans une prochaine existence sa garde-malade serait une grande princesse. Elle avait des manières très distinguées ; elle marchait les pieds en dedans et savait faire de belles révérences, touchant le sol du bout de son nez. Elle offrait à M. Seippel des azalées tardives, qu’elle allait à son intention cueillir dans la montagne ; en retour, il lui donnait des gâteaux, qu’il n’achetait pas toujours ; il les volait quelquefois à son hôtel : les grandes amitiés font commettre de grands crimes. Il trouvait Oharou exquise, tout en se plaignant qu’elle mêlât à ses grâces printanières trop de cérémonies. Elle avait huit ans ; il aime à croire que leurs rendez-vous ne l’ont pas compromise. Jolie silhouette, jolie matière à mettre en vers !

Beaucoup moins poétique est la figure de M. Nitchipoura, homme universel, jurisconsulte, agitateur politique, littérateur, journaliste, jadis chef de bureau au ministère de la guerre, aujourd’hui guide-interprète, en la compagnie duquel M. Seippel a passé trois mois. Ce petit Japonais vif, nerveux, au teint blafard, aux petits yeux noirs très lui-sans, à la bouche sans lèvres, à la physionomie futée et chafouine, a beaucoup de monde et une courtoisie qui ne se dément jamais. Il faut lui en savoir gré, car sa tête est chaude, son humeur bouillante, et dans ses emportemens il reste toujours poli, comme on ne l’est qu’au