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désobligés et désorientés ; et nous consentons donc sans trop de peine que, dans la série de sentimens qu’il devait logiquement parcourir, l’infortuné brûle les étapes, et que l’élan du pardon commencé lui fasse refermer sur la femme de chair les bras qu’il avait ouverts à l’ombre.

Mais à quoi servent les débats sur le spiritisme qui remplissent presque tout le premier acte et la moitié du troisième ? Ces conversations de théâtre ne sauraient évidemment résoudre la question. Avant comme après, je demeure incertain. Je me dis qu’ « il y a quelque chose » ; oui, mais quoi ? Je ne sais même pas si les expériences sur le spiritisme ont jamais été faites dans des conditions scientifiques. Je me souviens seulement que tel grand prêtre du spiritisme qu’il m’a été donné d’approcher m’a paru crédule et de peu de défense. M. Crookes lui-même a pu être à la fois un chimiste éminent et un visionnaire. Et, au surplus, si l’on tient pour vraies les découvertes de ces messieurs, cela m’étonne et me chagrine, de voir que tous les morts évoqués sont encore plus médiocres que les vivans, et qu’ainsi le spiritisme nous ramène, ou peu s’en faut, aux naïves imaginations homériques, à ces limbes du pays des Cimmériens, où les ombres pâles et languissantes des morts continuent bonnement leur vie terrestre, mais diminuée, engourdie, totalement insignifiante, et n’ont rien à apprendre aux vivans, sinon le dégoût d’une pareille survie. Et, d’autre part, il n’importe en aucune manière à l’action de la pièce que le spiritisme soit vrai ou non : il suffit que ce bon M. d’Aubenas y croie pour sa part. Toutes ces discussions ne sont donc là que pour nous amuser. Mais, au fait, puisqu’elles y réussissent, tout est bien.

Seulement, ce pourrait être encore mieux. L’avant-dernière scène du troisième acte est vraiment belle. C’est un entretien entre M. d’Aubenas et le cousin de Simone, où M. Sardou expose, avec une éloquence émue, la très antique doctrine de la purification des âmes dans des existences successives, et, rattachant à cette doctrine la théorie du spiritisme, conclut à une loi de bonté, de pardon, d’aide mutuelle entre les vivans que nous sommes et ces autres vivans qu’on appelle les morts : en sorte que l’univers des âmes, — les unes attachées à des corps terrestres, les autres voltigeant autour de nous ou déjà émigrées en d’autres planètes, selon qu’elles sont plus ou moins avancées dans leur long pèlerinage expiatoire, — ressemble à une vaste « communion des saints ». Et l’apparition de Simone, quoique fausse et trop pareille, si on y réfléchit, aux apparitions bouffonnes des Erreurs du mariage, m’a pourtant charmé par une grâce de mystère. Très sérieusement, si les deux dernières scènes de Spiritisme avaient été traduites en