A plusieurs reprises cependant, elle faillit disparaître : le sucre, toujours considéré comme un aliment de luxe, avait été dès l’origine frappé d’un lourd impôt maintenu par les divers gouvernemens qui se succédèrent dans notre pays. Si l’on n’avait demandé à cet impôt que les sommes considérables qu’il peut fournir, il n’aurait que retardé l’essor de la nouvelle industrie en diminuant la consommation sans déterminer de crise fatale. Il n’en fut pas ainsi ; on fit de cet impôt une arme de protection, et dès lors commença la série des difficultés au milieu desquelles nous nous débattons encore aujourd’hui. Les planteurs des colonies n’avaient pas vu sans inquiétude la prospérité naissante de la nouvelle industrie. Si le sucre de betteraves suffisait à alimenter la consommation de la France, le marché de la mère patrie se fermait devant eux. Ils invoquèrent la nécessité de ne pas laisser périr le faible domaine colonial que nous avaient laissé nos défaites ; ils montrèrent qu’il fallait soutenir notre marine marchande en lui assurant le transport des sucres des Antilles et de la Réunion jusqu’en France ; ils furent écoutés ; et pendant le règne de Louis-Philippe les Chambres discutèrent différentes propositions de loi, écrasant la fabrication du sucre de betteraves en détaxant le sucre colonial ou même, interdisant absolument la production du premier, par le rachat et la fermeture des usines.
Les discussions se continuèrent à la Chambre des députés, de 1839 à 1845. Enfin on trouva le moyen de laisser vivre les deux rivales et dès lors, sûre de l’avenir, la fabrication prit en France une grande extension ; jusqu’en 1846, la production était restée inférieure à 35 000 tonnes de sucre raffiné ; elle monta cette année-là à 46 000 tonnes ; dix ans plus tard, elle atteignit 100 000 tonnes ; en 1865, elle fournit 200 000 tonnes, puis s’éleva successivement à 300 000, 400 000, 500 000 tonnes, et jusqu’à 700 000 tonnes pendant les dernières campagnes.
Il ne faudrait pas croire pourtant que cette augmentation fût le signe d’une grande prospérité. La production a progressé plus vite que la consommation, le prix du sucre a baissé de plus de moitié ; de 60 francs les 100 kilos il y a vingt ans, il est tombé aujourd’hui à 25 francs, de telle sorte que l’impôt de 60 francs triple son prix de vente ; et si l’État n’abandonnait pas à la fabrication une partie de cet impôt, nombre d’usines fermeraient.
L’impôt de consommation du sucre rapporte chaque année à