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du jour il travaillait son jardin tout plein de fleurs. Pauvrement vêtu, on le distinguait à ses fautes d’accent et à la politesse de ses manières. Il mourut les yeux fixés sur son empereur ou du moins sur un portrait du héros qu’il avait dessiné lui-même vers le milieu du siècle et suspendu en face de son lit. Les bruits d’une alliance franco-russe avaient consolé ses derniers jours ; pourtant il n’aimait pas la république et quand on annonça un voyage du président Carnot à Moscou, en 1891, Savin se fâcha, Savin protesta auprès de ses voisins, dans tout son quartier.

Le général N… nous accueille en langue française ; il porte au côté la couronne d’argent faite d’une palme de chêne et d’une palme de laurier, signe distinctif propre aux officiers de l’état-major général ; mais, cavalier d’origine, il exerce un commandement de cavalerie. Son embonpoint est ici un produit naturel du climat hostile et des mœurs sédentaires. Il a toujours aimé la France ; il lui sait gré de ce qu’elle a fait la première au monde pour la justice et pour la vérité. Maintenant encore, ces changemens continuels qu’on reproche tant à son gouvernement sont une preuve qu’elle cherche toujours et veut aller plus avant ; s’arrêter pour elle serait mourir.

— Ah ! Paris, Paris !… dit-il avec un hochement de tête. Puis tout bas et confidentiellement :

— Danse-t-on toujours à la Closerie des Lilas ?

La guerre de Crimée n’a été qu’une méprise douloureuse. À Sébastopol, il commandait l’artillerie du bastion du Mât ; il a vu de près toutes les horreurs que Lev Tolstoï racontait anonymement, jour par jour, avec tant de talent. Mais avant même l’armistice conclu, les officiers s’invitaient d’un camp à l’autre ; seuls les Anglais restaient dans leur coin. Et vraiment, c’est à propos de reprendre aujourd’hui cette tradition des visites : Mikaïl Ivanovitch, en invitant et en hébergeant, sait ce qu’il fait. Arriver en hiver et demeurer jusqu’à l’été est une bonne manière de voir tout le progrès de l’instruction. Un de ces matins, nous donnerons rendez-vous aux Cosaques de l’Oural pour les faire galoper et travailler au sabre. Justement ils vont recevoir leurs recrues, arrivant avec armes, équipement, montures, bons à mettre en plaine dès le premier jour, comme des canards, au sortir de l’œuf, sont bons à mettre sur l’eau. Un contingent curieux ! Il s’y trouve des Bachkirs païens qui apportent leurs dieux