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avec les poings ; si tes poings défaillent, accroche-toi avec les dents… » Redoutables commandemens ! Nous autres, zélateurs de religions intellectuelles, nous avions oublié ce christianisme sanglant ; il est pourtant celui que la guerre approuve et que la victoire absout. Dans une expression si raccourcie et si heurtée, la loi double qui allie l’extrême violence à l’extrême amour déplaît à nos âmes toutes de mesure, de délicatesse et de continuité ; mais ce contraste échappe à l’âme populaire mue par les brusques ressorts du cœur et qu’un mot dit par l’apôtre précipite aux impulsions du fatal et de l’inconscient.

Midi est l’heure où l’on relève les gardes ; l’officier qui sera de jour jusqu’à demain et celui dont le tour s’achève, l’un et l’autre en grande tenue, se font devant le général la remise du service. Courte cérémonie, dont les figurans tiennent la main levée vers la visière de la coiffure comme pour saluer l’idée présente alors au milieu d’eux, l’idée de l’obéissance et du devoir. Des trompettes d’argent dont les cordons sont aux couleurs de l’ordre de Saint-Georges, signes honorifiques mérités par le bataillon durant la dernière guerre, sont déposées au poste de police, près de l’étendard ; la veille une sentinelle dangereuse, prête à transpercer quiconque approcherait. Cependant on ouvre la cellule d’un prisonnier enfermé, comme l’indique une inscription aisément traduisible en français et je pense en toute langue, « pour s’être mis en état d’ivresse et avoir causé du scandale dans les chambres après l’extinction des feux. » Il sort de cette cabine de planches disjointes ; il cligne des yeux à la lumière du jour, et j’attendais que le général fronçât le sourcil, fît de la morale ; mais, s’appuyant sur l’épaule du coupable et lui caressant la joue, il dit simplement : « Encore quatre jours, petit frère, et tu seras libre. » Cette bonhomie et cette douceur sont, dans les mœurs, un trait proprement slave, hérité de la vie patriarcale primitive, et que n’ont pas altéré les coutumes militaires empruntées des Varègues, des Tartares ou des Allemands.

Le réfectoire qui sert aussi d’office et de cuisine est une voûte construite en sous-sol. Debout à côté du fourneau, l’arteltchik nous montre le tableau sur lequel il fait ses comptes, les coffres où il enferme ses provisions.

Le principe de l’artel, de l’association, conforme au caractère des Grands-Russes, mais étranger aux mœurs petites-russiennes, a passé dans la règle générale de l’économie militaire et c’est un