Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/374

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’observait pas encore que maintenir dans un rôle subalterne la classe d’officiers la plus éclairée, c’était décapiter l’armée et vouloir qu’elle marchât à l’aveugle, en portant comme saint Denis sa tête sur sa poitrine. En 1852, cette erreur était réparée, et le libre passage permis du service d’état-major au service de troupe ; dès 1855, l’Académie d’état-major Nicolas pouvait bénéficier du nouvel état de choses, et tout d’abord le fait même de la réorganisation générale et la création des états-majors de divisions, de corps et d’armées, en tournant vers elle les désirs et les efforts des officiers, lui donnaient la vie. Le nombre croissant des candidats permettait une sélection plus sévère ; une atmosphère d’étude et de réflexion se formait autour de maîtres qui se sont appelés Milioutine, Dragomirof, Obroutchef, Leer. Pour que cet esprit gagnât l’armée et s’y propageât suivant l’ordre militaire naturel, qui est de haut en bas, il fallait attendre que les élèves de l’Académie fussent parvenus à des commandemens importans : les conditions particulièrement avantageuses de leur avancement abrégeaient ce délai sans que les officiers de troupes pussent se plaindre d’un privilège fondé sur d’incontestables différences intellectuelles. D’autre part, les hautes études techniques et les intérêts particuliers des armes spéciales se trouvaient garantis par le fonctionnement des deux académies Michel-artillerie et Nicolas-ingénieurs. Ainsi se trouve à la fin réalisée l’idée du rude empereur militaire qui dès 1832 rêvait avec Jomini de rattacher à un centre commun les écoles éparses dans l’empire. Ainsi, par le jeu d’institutions remarquablement normales et symétriques, voit-on garantie une unité de doctrine d’autant plus précieuse qu’elle s’accompagne d’une unité de croyances et d’aspirations.

C’est seulement après toutes ces mesures préalables qu’on passait en 1874 à l’institution du service militaire obligatoire et universel ; c’est sur une armée nettoyée, radoubée et recompartimentée qu’on ouvrait la vanne puissante de la conscription. « Autrefois, déclarait le règlement du 1er janvier 1874, les classes des paysans et des artisans étaient seules soumises à la règle du devoir militaire, lequel doit être sacré pour tous. Pareil état de choses ne répond plus ni aux conditions présentes de la vie, ni aux besoins nouveaux de l’armée. Les événemens récens ont montré que la force d’un État n’est pas seulement dans le nombre de ses soldats, mais aussi dans leur valeur morale… »

On croirait lire, dans la Déclaration des droits de l’homme, le