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Plus le mort était grand, et plus on est avide
De fouiller son cadavre, ainsi que font les loups.
On s’est glissé, furtif, et ployant les genoux,
Comme dans l’hypogée ou dans la pyramide,
Pour tâcher de surprendre, en votre main livide,
Quelque secret bien cher qui dormît près de vous.

Avec la minutie avare des orfèvres
Qui pèsent une perle aux beaux reflets nacrés,
On compte les tourmens des instans adorés
Où vous vous torturiez, par vos troublantes fièvres ;
Et les baisers de feu qui brûlaient sur vos lèvres ;
Et les sermens trahis qui vous ont déchirés.

Tes cheveux noirs, coupés dans un moment d’ivresse,
Ô George ! ont défrayé les salons. Les échos
Nous répètent cent fois le moindre de vos mots ;
On veut savoir jusqu’où plongea votre détresse ;
Et si, quand s’exaltait votre double tendresse,
Les sanglots de vos cœurs étaient de vrais sanglots.

On connaît des romans dont l’intérêt s’épuise,
Mais le vôtre est de ceux qui durent ici-bas.
Les ruelles de Venise ont désappris vos pas,
Mais nous n’oublions rien : la gondole, l’église,
Franchard, la Forêt-Noire… et quand un cœur se brise
Nous voulons être sûrs qu’il ne nous trompe pas.

Parfois, pour les sauver des regards ironiques,
En un coffret d’or pur ou de bois précieux,
Le triste amour enferme un billet, des cheveux,
Des roses d’autrefois, précieuses reliques,
Que, dans l’isolement des soirs mélancoliques,
On baise en se cachant, pâle et fermant les yeux.

Maudits ceux qui, pour voir si vos larmes sont vraies,
Prennent votre trésor et le mettent au jour !
Vous êtes flagellés, chacun à votre tour,
Dans leurs livres, pareils à de brûlantes claies.
Ils enfoncent leurs doigts dans les trous de vos plaies,
Et, pour des droits d’auteur, font saigner votre amour.