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« C’est encore moi, tante Véronique, et je vais tomber sur la route, si pour quelques jours, vous ne m’accordez le gîte et la pitance. » Et que pensez-vous de cette strophe : « Il a fallu qu’un des nôtres, notre ancien voisin Gaspard, mordu par l’enragé désir des richesses, ne se contentant pas de l’antique lavage à la main, eût l’idée d’établir une usine en amont du torrent ». L’usine, toujours l’usine, quand ce n’est pas la machine, plus insupportable encore. Car ce n’est pas seulement aux mots, c’est aux choses, et à quelles choses ! que la musique est étroitement liée. Durant tout un acte l’odieuse mécanique occupe toute la scène et son bruit à elle couvre tous les autres. Voilà, je crois, la première application au drame lyrique de la grande industrie. D’autres suivront sans doute. Les chemins de fer pourront offrir à nos compositeurs des ressources infinies, et ce sera un admirable tableau — symphonique et vocal — que celui d’une gare, tant à cause de la multiplicité des voies, que de l’abondance et de l’entre-croisement des motifs conducteurs.

Sérieusement, à côté ou plutôt à l’opposé d’une certaine tendance et de prétentions, plus certaines encore, à l’idéalisme, il y a pour la musique, en ce livret de Messidor, trop de causes d’avilissement. C’en est une que la prose ; entendons-nous bien : cette prose. L’appareil industriel et mécanique en est une autre. Une autre enfin est le réalisme et la grossièreté. Par certains côtés et par l’un au moins des personnages, Messidor a le défaut de rappeler Germinal. Pour la musique ce défaut devient un vice, presque une honte. De la haine et de la violence, des crimes de l’homme et de ceux de la foule, de tous les attentats et de toutes les colères, assez de chefs-d’œuvre ont prouvé que la musique n’a pas peur. Mais à de tels sujets, pour qu’ils servent sa cause, et sa gloire, il faut toujours — quel qu’il soit — un prestige : celui de l’histoire ou de la légende, l’éloignement dans le temps ou dans l’espace, un rayon enfin de poésie ou de beauté. Des bandits pourront être des héros lyriques ; des ouvriers, j’en doute ; des voyous, jamais. La conjuration du Rutli, la Bénédiction des poignards sont des choses sublimes. Il y a quelque chose d’ignoble dans l’émeute anarchiste de Messidor et chez le compagnon qui la mène, on vous a dit en quel accoutrement. Or l’ignoble — je ne prends le mot qu’au sens originaire, au sens non pas de l’obscénité ni de l’ordure, mais seulement de la trivialité et de la bassesse — l’ignoble répugne essentiellement à la musique II est impie, il est sacrilège de l’y associer. Quand M. Bruneau sera devenu un grand musicien, il ne pourra pas se rendre le même témoignage qu’un grand poète, qui pourtant, en un jour