jusqu’à devenir infidèles à la foi de leurs pères. Je t’assure que la prédication était bonne… » Il admire Blücher et il écrit les Deux grenadiers. Il a la vocation des lettres et on le destine à l’épicerie en gros. Aristocrate par goût, il est révolutionnaire par profession. Rêveur, il devient homme de combat. Rossignol allemand, il se niche dans la perruque de M. de Voltaire. Romantique défroqué, il est en outre imbu des idées de l’Encyclopédie. Soldat indiscipliné, il a criblé de ses flèches les causes mêmes qu’il défendait, affligé ses meilleurs amis, découragé ses plus chauds partisans. Il est hors de son pays, hors de sa classe, hors de sa caste, hors de son caractère. Dépaysé, déraciné, incapable de trouver un soutien, il a vécu comme absent de lui-même, sans pouvoir ni s’attacher à une idée ni se fixer dans un sentiment. Il y a chez Henri Heine deux êtres qui s’observent et se contrarient ; et les émotions de l’un s’achèvent dans le rire de l’autre. Encore est-il impossible de démêler si l’homme en proie à cette dualité en est plus péniblement affecté ou s’il y trouve davantage un plaisir de perversité et la joie mauvaise du reniement.
Cela explique la conception que Heine se fait de l’amour ; cette conception, telle qu’elle se dégage de l’ensemble de son œuvre, est ce qui la rend aujourd’hui encore vivante pour nous. Entre tous ceux qui ont parlé de l’amour, Heine a sa place à part et il la doit à cette sensibilité exaspérée et inquiète qui fut en lui. Car, on le sait bien, la façon dont les poètes ont parlé de l’amour ne vient pas des expériences qu’ils en ont faites ; en dépit des démentis que la réalité a pu leur donner ils ont continué de ne l’apercevoir qu’à travers le rêve dont ils étaient les créateurs. Et ce rêve ils l’ont tissé avec l’étoffe même dont était faite leur âme, avec leurs dispositions naturelles et leurs sentimens intimes, avec leur mélancolie ou leur enthousiasme, avec leur délicatesse ou leur violence. Ils ont paré de couleurs séduisantes des objets indignes ; trahis, ils ont béni leur souffrance ; inconstans eux-mêmes et trompeurs, ils ont été de bonne foi quand ils se sont engagés. Sous la roche qui tombe en poussière, à la face du ciel mobile, ils ont échangé des sermens éternels. L’amour est cela même : une prise sur l’infini, l’illusion de l’éternité dont se leurre la créature d’un jour. Cette illusion, à aucun moment Henri Heine n’en est dupe.
Être heureux par l’amour, c’est le souhait absurde et toujours déçu. On côtoie l’île enchantée sans pouvoir y aborder. « Ma bien-aimée, nous étions ensemble assis dans une barque légère ; la nuit était silencieuse et nous voguions sur la vaste étendue des eaux. L’ile des fées, la belle île, se dessinait vaguement aux rayons de la lune ; de douces