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quelque penchant pour la bonne chère, et que dans son enfance il était colère à l’excès. « Dans ces commencemens-là, dit-il, on l’a vu bien des fois que son humeur l’excitoit, s’appuier sur une chaise ou sur une table, les deux mains contre les joues, et dans cette posture passer un assez long temps sans dire mot, jusqu’à ce que le bouillonnement qu’il sentoit fût calmé[1]. » L’abbé Fleury se borne à dire que « dans son enfance et sa première jeunesse il étoit vif et impatient jusqu’à la violence et l’emportement[2]. »

Entre les exagérations de Saint-Simon et les atténuations de ces pieux biographes, la vérité pourrait bien se trouver en ceci qu’au sortir des mains de la maréchale de la Mothe-Houdancourt, qui, tout en veillant sur lui avec soin, l’avait peut-être un peu gâté, le duc de Bourgogne était tout simplement un enfant nerveux, hautain, irascible, avec des instincts assez matériels qu’il devait à l’héritage de l’aïeul Henri IV, et du grand-père Louis XIV; mais sensible, droit, généreux, et d’une intelligence singulièrement précoce. Saint-Simon n’en a pas moins raison d’ajouter : « Tant d’esprit, et une telle sorte d’esprit joint à une telle vivacité, à de telles passions, et toutes si ardentes, n’étoient pas d’une éducation facile. » Mais il y avait du ressort chez l’enfant. Il ne s’agissait que d’éveiller chez lui la conscience et de diriger l’intelligence. C’est à quoi Beauvilliers et Fénelon devaient merveilleusement réussir.

C’est à la fois heur et malheur que d’être dans une entreprise quelconque l’associé d’un grand homme. Le grand homme couvre tout de son éclat et de sa responsabilité. Si l’entreprise réussit, l’humble associé n’en recueille aucune part de gloire ; mais si le grand homme commet quelques fautes, lors même que l’associé en serait le véritable inspirateur, personne ne songe à les lui reprocher. C’est un peu l’histoire de Fénelon et de Beauvilliers. Pour la postérité, c’est Fénelon qui a élevé le duc de Bourgogne. Toute la gloire lui en revient. Mais à lui aussi revient la responsabilité de ce qui, à certains yeux, paraît avoir été défectueux dans cette éducation. De cette gloire et de cette responsabilité, Beauvilliers ne prend pour la postérité aucune part. En réalité, nous ne croyons pas que les choses se soient passées tout à fait ainsi. Il ne faut pas oublier qu’en 1689 l’abbé de

  1. Recueil des vertus du duc de Bourgogne et ensuite Dauphin, pour servir à l’éducation d’un grand prince, par le Père Martineau, son confesseur; Amsterdam, MDCCXIII, p. 138.
  2. Portrait de Louis de Bourgogne, puis Dauphin, par Claude Fleury.