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propre gouverneur. Ils ne passaient jamais que trois quarts d’heure à table, et retournaient ensuite chez eux, dessinaient ou dansaient jusqu’à deux heures. A deux heures, ils jouaient pendant trois quarts d’heure à quelque jeu avec leur sous-gouverneur ou gentilhomme de la manche. Puis venaient ensuite, suivant les saisons, soit la promenade, soit l’étude, qui était de deux heures. Après l’étude, lecture à leur choix de quelque chose qui les divertissait, puis souper, jeux et enfin coucher à neuf heures un quart, ou neuf heures, suivant que leurs maîtres avaient été contens d’eux, quelquefois plus tôt par punition.

Sur ce chapitre des punitions, Louville ajoute : « Jamais M. le duc de Beauvilliers n’a donné ni fouet ni férules à aucun des trois princes, et il prétend que ces sortes de punitions ne conviennent point à des enfans de ce rang-là. Il ne songe au contraire qu’à s’en faire aimer afin de leur être utile et il ne les châtie qu’avec la dernière douceur. Cependant il y a un certain nombre de punitions qui se succèdent les unes aux autres, dont il se sert à mesure qu’ils font quelque faute. » Louville ne nous apprend point quelles étaient ces punitions; il se borne à nous dire que ceux qui étaient préposés à l’éducation des Enfans de France n’ayant qu’une autorité dépendante de Beauvilliers, celui-ci était d’autant plus exact et rigoureux à faire suivre aux jeunes princes les punitions dont leurs principaux domestiques les avaient menacés de sa part.

Bien que l’autorité de Beauvilliers paraisse ici encore prédominante, nul doute que, si les coups libéralement distribués au Dauphin par Montausier furent épargnés au duc de Bourgogne, celui-ci n’en dût la principale obligation à son précepteur. Ce principe de songer avant tout à se faire aimer des enfans est bien celui que Fénelon avait posé en propres termes dans l’Education des filles, et il le devait mettre en pratique dans ses rapports avec le duc de Bourgogne. Comment n’aurait-il pas réussi à se faire aimer d’un enfant vif et tendre, ce grand charmeur, aux séductions duquel personne ne résistait? Puis, quand l’enfant fut conquis, il joua de sa tendresse comme ressort d’éducation. Un jour, en réponse à une observation, le duc de Bourgogne s’oublia jusqu’à lui dire : « Non, Monsieur, non : je ne me laisse point commander; je sais qui vous êtes et je sais qui je suis. » Fénelon ne répond rien et se retire en silence. Le lendemain, il reparaît devant son élève, le visage affligé, et il lui dit : « Je ne sais. Monsieur, si vous vous rappelez ce que vous avez dit hier : que vous