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décembre 1692, et d’une grave maladie, au cours de laquelle il fit amende honorable pour les écrits licencieux qu’il s’accusait d’avoir publiés ; il renonça même par esprit de pénitence au profit d’une nouvelle édition de ses Contes, qui allait paraître en Hollande. Le duc de Bourgogne, qui s’était fort attaché à lui, en conçut une grande joie, et lui témoigna la satisfaction qu’il ressentait à la façon du temps. Laissons parler l’abbé Pouget, qui visitait alors La Fontaine : « Il m’embrassa avec un grand épanouissement et me dit qu’il vouloit me faire part d’une agréable nouvelle; qu’il sortoit de chez lui un gentilhomme du duc de Bourgogne pour s’informer de l’état de sa santé, et lui porter de la part de ce prince une bourse de cinquante livres d’or en espèces. Ce gentilhomme avoit eu ordre de lui dire que le Prince venoit d’apprendre ce qu’il avoit fait le matin, que cette action lui faisoit beaucoup d’honneur devant Dieu et devant les hommes, mais qu’elle n’accommodoit pas sa bourse, laquelle n’étoit pas des plus garnies; que le Prince trouvoit qu’il n’étoit pas raisonnable qu’il fût plus pauvre pour avoir fait son devoir, et qu’il avoit renoncé solennellement au profit que l’imprimeur hollandois de son livre devoit lui donner ; le Prince, pour y suppléer, lui envoyoit cinquante louis qui étoient tout ce qu’il avoit et tout ce qui lui restoit de ce que le Roi lui avoit fait donner pour ses menus plaisirs du mois courant[1]. »

L’année suivante, La Fontaine dédiait au duc de Bourgogne le douzième livre de ses fables. Il y rassemblait celles que, les années précédentes, il avait composées à son instigation. Dans la fable du Loup et du Renard, La Fontaine va jusqu’à dire :


Ce qui m’étonne est qu’à huit ans
Un Prince en fable ait mis la chose,
Pendant que, sous mes cheveux blancs,
Je fabrique à force de temps
Des vers moins sensés que sa prose[2].


Des thèmes, le duc de Bourgogne avait bien vite passé aux versions. On aurait peine à croire, si de consciencieux témoins ne l’affirmaient, qu’à treize ans il avait déjà lu Virgile, Horace, et traduit presque entièrement Tacite. Il goûtait fort l’Anti-Lucrèce

  1. Lettre de l’abbé Pouget, citée par M. Paul Mesnard dans son intéressante Notice biographique sur La Fontaine. — Collection des Grands Écrivains de la France, p. 199.
  2. Lorsque La Fontaine mourut, le duc de Bourgogne tourna sur sa mort une petite élégie en prose latine (on ne lui laissait pas faire de vers) d’un assez joli sentiment, qu’on trouve également dans les œuvres de Fénelon.