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leur étaient quelquefois offerts par la sollicitude paternelle du Roi. Il est difficile de croire que ce fut pour son propre plaisir que Louis XIV permit à un joueur de gobelets, alors fort célèbre, de venir faire ses tours au palais, « durant une de ces longues soirées d’hiver, où, pour parler comme l’abbé d’Olivet auquel nous empruntons cette anecdote, l’ennui cherche à pénétrer dans Versailles. » La soirée fut marquée par un épisode divertissant. Le joueur de gobelets s’avisa qu’un des assistans, — c’était encore le pauvre abbé Genest, — avait sa toilette en désordre, et qu’un bout de sa chemise pendait hors de ses chausses. Il le fit approcher, sous un prétexte, et appliquant sa main là où pendait la chemise, il feignit de retirer un gobelet en disant : « Monsieur l’abbé, comment avez-vous pu garder si longtemps dans vos chausses ce verre qui devait bien vous gêner? » « Jamais, ajoute l’abbé d’Olivet, le Roi n’a ri de si bon cœur, et c’est un trait à mettre dans son histoire, car il me paraît édifiant qu’un si grand roi ait ri, du moins une fois en sa vie, de ce rire naturel qui est le partage de l’innocence champêtre[1]. » Le duc de Bourgogne dut rire également de bon cœur, car l’abbé Genest s’étant, au bout de peu de jours, présenté à son lever, il lui remit une caricature de sa main qui rappelait l’aventure. L’abbé eut la bonne grâce de la prendre et d’y répondre par de jolis vers.

Les cérémonies de la cour offraient quelquefois au duc de Bourgogne l’occasion de prendre part à des divertissemens plus conformes à son rang. En 1692, aux fiançailles du duc de Chartres avec Mme de Blois, il mena le branle, comme on disait alors, avec Mademoiselle, la sœur du fiancé. Ce fut son premier bal. Quelques jours après, il menait encore la duchesse de Chartres elle-même. Il avait sans doute pris goût à la danse, car, le dernier jour du carnaval de 169(, il assista à un bal de masques chez Monseigneur. Il fallut même que Beauvilliers se masquât pour l’accompagner : « Cela ne convenoit, fait observer Sourches, à la gravité d’un ministre, ni à la piété dont il faisoit profession; mais, avec les princes, il y a certaines choses qu’il faut résoudre malgré ses propres inclinations et malgré les bienséances[2]. » Il n’était plus possible, en effet, de traiter le duc de Bourgogne tout à fait en enfant, car il approchait de sa majorité. Il allait avoir treize ans. Louis XIV se complaisait à voir ainsi grandir celui qu’il croyait

  1. Histoire de l’Académie, par Pellisson et d’Olivet, t. II, p. 379.
  2. Mémoires du marquis de Sourches, t. IV, p. 427.