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trop devaient s’accentuer avec l’âge. Mais de ce portrait on peut conclure qu’à quatorze ans, il devait être charmant. De bonne heure, il est vrai, sa taille avait un peu tourné, et l’une de ses épaules était devenue plus forte que l’autre. On attribuait ce défaut de conformation à l’ardeur trop grande avec laquelle, au sortir des mains des femmes, il s’était appliqué à écrire et à dessiner. Le collier et la croix de fer qu’on lui fit porter souvent, rien n’y fit. Mais dans sa première jeunesse, cette disproportion entre les deux épaules ne s’était probablement pas accentuée au point de le rendre légèrement boiteux, ainsi qu’il devait l’être plus tard, et comme il avait les plus beaux pieds et les plus belles jambes, qu’après le Roi on eût jamais vus à personne (beauté que le costume du temps rendait importante), la tournure et la prestance ne pouvaient manquer d’être aussi agréables que la figure. Ce que d’ailleurs le portrait de Saint-Simon ne saurait rendre, c’est le contraste qui devait exister entre le regard vif et touchant, où se trahissait toute l’ardeur, l’impétuosité, la tendresse de sa nature, et la gaucherie ingénue de son âge, que devait accroître encore chez lui la tension perpétuelle de la volonté en lutte avec la nature. De là peut-être cette apparence hautaine et fière, et cet abord fort peu prévenant que lui reprochait Spanheim, mais sous lesquels un observateur plus sagace aurait pu démêler le bouillonnement des passions refrénées par la conscience. Ce qu’on devine chez un être jeune et qui s’ouvre à la vie offre parfois plus d’intérêt que ce qu’on voit, et un peu de contrainte ne nuit point à l’attrait, surtout si, derrière cette contrainte, on devine un caractère. « Les premiers jours du printemps, a dit Vauvenargues, ont moins de grâce que la vertu naissante d’un jeune homme. » Plus d’une ambition, quel qu’en fût le mobile, s’efforçait assurément déjà de déchiffrer l’énigme de cette nature, et tournait ses yeux vers ce jeune astre levant. Au bas d’un portrait équestre qui date de ces années de sa vie nous avons relevé ces vers où se trahit la curiosité un peu maligne du public :


Fils aîné du Dauphin, plus beau que n’est le jour,
Déjà vous commencez à vous faire connaître,
Car de jeunes beautés qui brillent à la cour,
Soupirent tendrement en vous voyant paraître.


De quel œil lui-même regardait-il ces jeunes beautés auxquelles Louis XIV, alors qu’il avait le même âge, faisait déjà place