Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/583

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été fortement contredite et aussi celle qui la contredit, ne reconnaissant ni sur l’une ni sur l’autre le sceau du consentement universel, et alors on repoussera exactement tout ce que les hommes ont pensé ; on ne retiendra que leur manière de penser, la seule chose qui leur soit commune, la seule chose qui soit la même chez tous les hommes, et l’on arrivera à cette conclusion que la vérité, c’est la logique. Seulement la logique réduite à elle-même ne donne rien.

La considération du consentement universel ne mène donc à aucun résultat sérieux ; elle est une méthode parfaitement vaine et stérile et elle est même, à mon avis, la marque, en soi, d’un esprit dénué de sens philosophique. C’est précisément pour cela que Lamennais y donnait si pleinement. Car, homme d’action surtout et voulant agir immédiatement, il cherchait quelque chose avec quoi il pût agir. Or la considération du consentement universel ne mène à la conquête véritable d’aucune vérité; ce n’est pas une méthode philosophique, mais c’est un expédient. Nous nous en servons beaucoup, et légitimement, je crois, dans nos sciences toutes conjecturales de sociologie et de politique. Nous disons : « Observez que les nations ne se sont jamais, presque jamais, organisées comme vous dites ; ce serait donc aller contre la nature humaine elle-même que de tenter ce mode d’organisation ; observez que depuis quelques siècles les tendances générales des peuples vont dans tel sens ; la vérité politique d’aujourd’hui et de demain est donc dans ce sens-là; ne la contrarions pas, sachons nous y accommoder... » Quand nous parlons ainsi, c’est bien à une manière de consentement universel que nous en appelons. Mais qui ne voit les différences entre Lamennais et nous? C’est la vérité absolue, c’est la vérité métaphysique et théologique qu’il veut tirer du consentement prétendu universel. Ce qu’il veut tirer de l’entente générale des hommes c’est ce sur quoi les hommes se sont le moins entendus. La singulière maladresse consiste à avoir pris un expédient de sagesse et de prudence pratiques pour une méthode philosophique. Il y a un abîme entre ces deux ordres de conception.

Chose assez piquante, il fait juste, pour établir la certitude, ce que d’autres font pour la ruiner. Montaigne aussi, en ses momens de scepticisme, qui sont assez longs, il faut savoir le reconnaître, fait son enquête sur les opinions des hommes, et Pascal de même ; mais c’est pour montrer à quel point il est impossible de les ramener