de penser, à un grand nombre, à un nombre de plus en plus grand d’esprits, n’a pas paru suffisante.
Ce stade du siècle, Lamennais l’a parcouru, et la ligne brisée de sa pensée en est la représentation exacte.
Il a été pour la pensée en commun jusqu’à chercher l’unanimité du genre humain, non seulement à une époque, mais à toutes les époques, et à croire l’avoir trouvée. Il a été comme forcé d’avoir une pensée personnelle, seulement pour avoir voulu tenir compte de l’état vrai des esprits aux temps modernes, seulement pour avoir pris conscience d’une société humaine, celle où nous sommes, où presque tout est pensée personnelle et où l’individualisme intellectuel est comme la loi même des intelligences. Cette pensée personnelle une fois en lui, ne pouvant pas en faire la pensée commune de son Église, et ne pouvant pas y renoncer, c’est à l’Eglise qu’il renonça, et il se trouva le penseur solitaire qu’il avait en horreur d’être. — Et il chercha, comme tous les penseurs solitaires, une autre communauté, une autre association, une autre collectivité, une autre organisation spirituelle qui vécût de sa pensée à lui et donnât à cette pensée la force d’action, la vertu de propagation et de fécondité. Et il ne la trouva point, ni ne la créa, image encore, et plus que jamais, de son siècle, qui fut à la fois le plus ardent à penser, et le plus radicalement incapable de fonder un pouvoir spirituel ou seulement une organisation intellectuelle.
La tristesse de Lamennais vieillissant, c’est la tristesse de ce siècle qui finit, — après avoir beaucoup pensé, avec plus de contention et surtout avec plus de loyauté et de sincérité qu’aucun autre, en constatant que, — par défaut de convergence dans les efforts intellectuels, tant de labeur mental n’a peut-être eu sur les faits, sur les actes et gestes de l’humanité, qu’une influence insignifiante.
EMILE FAGUET.