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pour l’indemniser de ce qu’elle perdait. Elle voyait surtout disparaître ce droit de veto du XVIIIe siècle, cette protection gênante que l’État prussien avait étendue jusqu’alors sur le bloc des tenures rurales, en interdisant au propriétaire noble de le réduire par ses tentatives d’accaparement. Toutes ces réserves faites, l’édit du 14 septembre 1811, n’en mettait pas moins un terme au malentendu douloureux des propriétés partagées d’ancien régime.

A qui appartenaient, avant l’édit, ces petites tenures, ces morceaux de terre fécondés par les labeurs, par les misères des serfs, des paysans d’ancien régime? Nous ne saurions leur appliquer nos notions précises sur le droit de propriété. Elles n’appartenaient plus au seigneur, puisqu’il fallait qu’il y maintînt un foyer de tenanciers ruraux, et qu’il n’eût point eu le droit de les adjoindre purement et simplement à son domaine. Mais elles appartenaient encore moins aux tenanciers, qui pouvaient en être expulsés, s’il plaisait au seigneur de les remplacer par de nouveaux occupans. Ainsi s’était prolongée la douloureuse équivoque qui restreignait, qui voilait, qui condamnait à l’incertitude et à la précarité le droit du tenancier sur la terre qu’il occupait et qu’il cultivait. Cette équivoque séculaire, l’édit de septembre la tranchait. Et s’il eût dû s’exécuter sans modifications, il eût réalisé en Prusse une révolution d’une portée incalculable, en constituant, sur une large portion de son territoire, la petite propriété rurale[1].

Mais c’est s’exposer aux plus étranges erreurs que d’arrêter l’histoire des mesures législatives au jour de leur promulgation. Lorsque, quelque trente ans plus tard, on put mesurer les modifications économiques et sociales que l’édit de septembre avait apportées, en fait, à la constitution de la propriété rurale en Prusse, il fallut bien reconnaître que les réalités étaient loin de correspondre aux espérances qu’il avait suscitées. Comment cela se fit-il ?


III

L’édit accordait un délai de deux ans aux propriétaires nobles et à leurs tenanciers pour s’entendre à l’amiable; et, passé ce délai, mal précisé, d’ailleurs, l’État devait intervenir d’autorité.

  1. Voir le jugement porté par Treitschke, Deutsche Geschichte, I, 376, sur l’édit de septembre. Il est antérieur aux travaux de Knapp, et ceux-ci permettent de le rectifier. Treitschke parait exagérer la portée pratique de l’édit et en atténuer en quelque mesure le caractère révolutionnaire.