Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/656

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours eu soin de se prémunir contre les empiétemens d’un pouvoir voisin du sien et d’origine populaire. Bien avant les conflits de 1863 et de 1875, et les récriminations des oppositions parlementaires de ce temps, Hardenberg a inauguré le parlementarisme d’apparat, le Scheinparlamentarismus. Il était, il est vrai, à bonne école, puisqu’il imitait la France napoléonienne. Mais la France en a rappelé depuis, et la Prusse paraît en être demeurée, avec M. de Bismarck, aux conceptions de Hardenberg.

« Que nos fonctionnaires ne se laissent point ravir le rôle de direction qui leur appartient, écrivait, il y a quelques mois encore, un des hommes qui ont le mieux étudié la question agraire, même pas par des majorités parlementaires... l’Etat allemand est un État de fonctionnaires; espérons qu’en ce sens, du moins, il le demeurera[1]. »

La représentation nationale de 1812 ne pouvait accomplir ce que toute l’évolution du XIXe siècle n’a pas réalisé. Impuissante à faire préciser ses attributions et sa compétence, elle était beaucoup moins agitée par la lutte de la noblesse et du tiers-état, que dominée par un esprit de corps qui unissait dans l’opposition mesurée au pouvoir ses divers élémens.

C’est dans une action commune que les représentans de la noblesse et ceux du tiers-état, c’est-à-dire les fonctionnaires qui représentaient les villes, se rapprochaient pour réclamer du gouvernement une constitution.

On les trouve aussi d’accord, ce qui est plus surprenant, pour protester contre l’édit de gendarmerie[2]. S’il y avait eu quelque esprit et quelque courant politique au sein de cette assemblée, on devait s’attendre à voir un édit qui, sous son titre trompeur, contenait une réorganisation administrative de la Prusse et brisait la souveraineté du possesseur de biens nobles, ardemment combattu par les représentans de l’aristocratie et soutenu par les représentans du tiers-état. Mais ceux-ci combattirent avec l’oligarchie la réforme administrative de Hardenberg. En réalité, ils se sentaient beaucoup plutôt membres de la caste semi-administrative, semi-féodale, qui gouvernait la Prusse, que représentans d’un tiers-état sans vie et sans action politiques; tant la Prusse était éloignée encore de voir se constituer dans son sein

  1. Knapp, Die Landarbeiter in Knechtschaft und Freiheit, p. 86.
  2. A-Stern, op., cit., p. 183. — Keil, Die Landgemeinde in den östlichen Provinzen Preussens, p. 110. — Treitschke, Deutsche Geschichte, I, p. 380.